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21 août 2008 4 21 /08 /août /2008 23:52

Ah, dit Mârco Valdo M.I., Lucien, mon bon ami aux pieds d'Hermès, aujourd'hui, je me sens l'âme épique.


L'âme épique, dit l'âne Lucien en ouvrant des yeux encore plus énormes qu'à l'ordinaire, qu'est-ce à dire ? Car là, tu piques ma curiosité, tu réveilles mon goût des histoires rares...


En fait, voilà, Lucien, dit Mârco Valdo M.I., je suis très perplexe. J'ai envie de te conter une vraie histoire, une histoire vraie ou presque vraie ou racontant une partie de l'histoire avec un grand « h », de parler d'un autre monde, d'un autre temps. Le nôtre, le temps de ces jours-ci est certes passionnant, mais le passé, ces histoires anciennes ne sont à la vérité pas si anciennes que çà. Toi qui connus l'Ephèse antique, tu sais bien que ce n'est pas si loin que ça.


Te voilà bien soucieux et dis-moi, Mârco Valdo M.I. mon ami, véritablement tu ne sais pas ce que tu vas me raconter ou simplement, tu hésites entre divers récits ?


Tu as raison, mon bon Lucien, dit Mârco Valdo M.I., et je le vois à ton sourire, blanc comme la cuisse de l'Apollon de Michelangelo, que tu sais que tu as raison... J'hésite beaucoup : vais-je te faire connaître la dernière chanson que j'ai traduite pas plus tard que tout à l'heure – entre parenthèse, c'est une histoire terrible que celle de Peppino Impastato, jeune homme assassiné par la mafia... Celle-là, je te la dirai peut-être un jour, si tu me le rappelles. Ou alors, vais-je te conter la suite des aventures de Marco Camenisch, ce qui est nécessaire, mais peut-être pas ce soir, ou cette histoire de la via Rasella que je tiens au chaud pour toi ou telle ou telle autre qui me trotte en tête sans que je m'en souvienne trop bien à l'instant où je te parle ?


En vérité, je te vois bien désemparé, dit l'âne en baissant les oreilles en signe de compassion. Mais honnêtement, je me demande si tout ceci n'a pas comme but d'arriver à me présenter sur un plateau l'histoire que tu as en tête depuis le début. Cela, je te l'avoue, je le soupçonne fort. Alors, sans hésiter, accouche !


Tout ceci n'est pas faux et je crois bien que je vais me décider à te parler d'une histoire fantastique qui est arrivée, il y a des centaines d'années et qui raconte la première guerre écologique ou biologique ou épidémiologique connue en Europe.


Oh oh, dit l'âne brusquement nettement plus attentif, plus curieux de cette curiosité aiguë qui surgit quand on touche le nerf sensible de l'esprit. C'est très intriguant et je ne peux me retenir de penser que tu exagères à nouveau ou que tu galèjes...Une guerre biologique ; en somme, tu veux me faire croire qu'il y a eu dans le passé un pays, une armée, un roi, que sais-je... qui a eu comme stratégie d'anéantir son adversaire en lui inoculant une maladie suffisamment grave que pour l'éliminer du combat ... C'était une guerre de village, je suppose...


Non, non, on parle bien d'une guerre de pays à pays, d'un État souverain contre un autre État souverain ou en tous cas, les deux se prétendant tels. Et pour ne pas te faire languir plus, je te situe l'affaire : il s'agit aussi de la première guerre de libération nationale – c'est-à-dire une guerre menée par des peuples d'un ensemble géographique qui se considère et qu'on peut considérer comme un ensemble cohérent et qui entendaient créer un pays, un État, une nation... tout ce qu'on voudra du genre sur leur territoire. De fait l'ensemble est cohérent et la géographie en délimite les frontières car il s'agit d'une île – suffisamment petite pour faire son unité et suffisamment grande pour que ce soit crédible et possible et cette île, c'est la Sardaigne. Les Sardes sont en effet, à ma connaissance, le premier peuple à avoir gagné sa guerre de libération nationale et à avoir chassé l'envahisseur – en l'occurrence, le roi d'Aragon, c'est-à-dire les Espagnols.







photo de William Leroy


Les Espagnols ?, dit l'âne surpris et presque incrédule ce qui se voyait à la façon dont il avançait son cou comme pour braire. Les Sardes ? Un si petit peuple – en nombre de personnes contre un si grand... Et quand çà, tu peux me le dire ?

Pour le quand, dit Mârco Valdo M.I., c'est très facile, je dirais quelque part entre 1380 et 1400... On n'est pas à une année près. Quant à l'importance en nombre des populations, tout en la matière est relatif. Les Espagnols sont bien puissants, nombreux, riches, expérimentés sur le plan militaire, ont une flotte considérable... Tout cela est vrai, mais ils ne sont pas chez eux et dans l'île, ils sont évidemment inférieurs en nombre face à une guerre de libération nationale et donc, de guérilla. Ainsi, les Français avaient gagné la guerre en Algérie, sur le plan militaire, mais ils ont perdue face à l'insurrection; il en fut de même des Etasuniens au Vietnam. Ce sera sans doute la même chose en Irak... De plus, les conditions d'une guerre vers 1400 n'ont que peu de choses à voir avec celles d'aujourd'hui.


Oui, oui, je comprends, dit l'âne en opinant des oreilles et du crâne. Donc, je résume pour voir si j'ai vraiment bien compris : un, les Sardes chassent les Espagnols après une guerre sur leur territoire – donc, ils les rejettent à la mer et n'ont pas eu l'intention d'envahir l'Espagne; deux, cela s'est passé vers 1400. Tout cela est bien beau, mais je n'en avais jamais entendu parler et en plus, je n'ai pas eu connaissance que la Sardaigne fut un État autonome...


Et en cela, dit Mârco Valdo M.I., tu as raison encore une fois, mon ami Lucien, voilà ce que c'est d'avoir été initié aux mystères. Les Sardes ont gagné leur guerre de libération nationale et en même temps, au même moment ou juste un peu après, ils l'ont perdue et c'est là qu'intervient la fameuse arme biologique, dont je te parlais en commençant. Mais avant d'aller plus loin, il faut encore ajouter un élément très intéressant de cette guerre de libération nationale gagnée, c'est qu'elle fut menée par une femme. Quel peuple moderne, n'est-il pas ? Ne gâchons pas notre plaisir et disons tout de suite que cette dame s'appelait : Eleonora d'Arborea ou Éléonore d'Arborée ou Lianora d'Arbarè... Elle est d'ailleurs actuellement encore considérée un peu comme l'incarnation de la Sardaigne, comme la figure mythique de l'indépendance de ce peuple et de son île. Je ne te cache pas que je pense qu'on pourrait bien avoir des surprises de ce côté-là dans un terme plus ou moins long. Un peuple qui a un jour goûté à l'indépendance a la tendance, qu'on peut estimer fâcheuse peut-être, de vouloir y revenir. Mais cela est une autre histoire. Si tu veux bien, Lucien mon ami, reprends ton résumé...


Un, dit Lucien l'âne en comptant sur ses pieds, les Sardes chassent les Espagnols; deux: cela s'est passé vers 1400; trois : c'est une femme qui mène la danse... J'ajouterais comme point intéressant : ils se découvrent comme peuple sarde face au reste du monde. Et bien, crois-moi, c'est quelque chose... Mais cette guerre biologique, alors ?


J'y viens, j'y viens ou plutôt, le récit que je vais te faire – ce sera une sorte de suspense – te dira de quoi il s'agit et si tu le veux,nous en reparlerons après.


Oh oui, c'est une bonne idée..., dit l'âne en marquant son contentement en balançant sa queue assez amplement.


Donc, allons au récit. Je l'ai extrait d'une pièce de théâtre de Giuseppe Dessì, un écrivain sarde du siècle dernier, intitulée Eleonora d'Arborea. Si tu veux, je te parlerai de Dessì une autre fois. J'interviendrai peut-être pour situer l'une ou l'autre chose. Bien entendu, j'ai dû comprimer la scène, il en reste vraiment l'essentiel, mais j'en ai le texte entier qui fait plus de cent pages... Donc, on est à Oristano – disons pour faire court, la capitale des Sardes, à ce moment et pour des raisons que je me refuse à t'exposer sinon on n'en sortira pas – dans le palais de l'évêque. La ville fête la victoire des Sardes et arrivent des envoyés du roi d'Aragon.





On entend jusqu’à la place la clameur de la cité en fête.


Le bal est prêt à commencer quand s’élève impétueux, militaire, insultant, un roulement de tambour. Ce n’est pas le doux, familier roulement du Crieur public, c’est une voix étrangère, intruse, menaçante, insolente, qui avance inexorable et paralyse tout. La foule, comme un seul homme, se tourne vers le bruit.


Et voici que précédés d’un Enseigne, qui porte un drapeau blanc, ample et funèbre et de quatre tambours (dont le son menace comme celui de quatre bombardiers), quatre Chevaliers aragonais, vêtus de noir, avec de longs manteaux et des chapeaux à plumes, hauts, spectraux, traversent la place du pas rigide des pantins. La foule se divise, muette, pour les laisser passer ; un sillon de silence et de mort s’ouvre devant et derrière le cortège.


Dans la cour du Palais seigneurial d’Oristano, l’Evêque de Santa Giusta avec une petite suite descend l’escalier de pierre et va à la rencontre des Chevaliers.


Les Chevaliers s’inclinent profondément en faisant glisser dans la poussière les plumes de leurs larges chapeaux.

Les Tambours se taisent. L’Enseigne baisse à terre le drapeau en signe de salut. La Suite s’incline profondément.


Un des chevaliers avance de deux pas et tend à l'évêque un rouleau de parchemin, puis il retourne dans son groupe avec une rigidité emphatique et militaire.


L'évêque prend le parchemin, mais ne le déroule pas et d’un geste cérémonieux, il invite les Chevaliers à entrer avec lui dans le palais. Je vous en prie, Messieurs, ayez l’amabilité de me suivre ! …

Mais

Les Chevaliers restent immobiles à leur place. Et l'évêque a beau insister, les chevaliers refusent toutes ses invitations à entrer.

Ils disent : Nous n’avons pas de bagages. Nous sommes très pressés, Excellence et nous devons prendre la mer avant que le vent ne tombe. Quand le vent soufflera dans la bonne direction, nous devrons partir. Le Roi d'Aragon nous envoie vous chercher vous et personne d'autre. Les chevaliers disent : Le Roi veut vous voir.

L'évêque se demande où ils veulent en venir, les invite à discuter.

Les chevaliers répètent : Non, nous sommes pressés, très pressés. Très pressés, Excellence. Nous devons partir avant que le vent ne tombe. Nous devons reprendre la mer sans délai. Il y aura une longue période de bonace. Sur la mer, pendant un mois, il n’y aura plus un souffle de vent. Aucun bateau ne pourra quitter, ni accoster les ports de l’Île. Pendant un mois, ce sera l'Île, Excellence. L'Île par excellence ! L'Île absolue !


Et dès lors, dit l'évêque, il ne viendra pas de renforts d’Espagne... Ni bateaux, ni chevaux, ni hommes. Ni vivres. Messieurs, ici on parle de victoire… La victoire existe, mais du côté de Dame Lianora. C’est elle qui tient le terrain. Les vôtres sont défaits, en déroute, surclassés, opprimés, détruits… morts ! Et le Roi parle ici comme si les vôtres étaient… vainqueurs!


Mais les chevaliers répliquent : Cette armée vaincue est en train de gagner la guerre. Il n’est pas nécessaire d’être debout pour vaincre.


Et voici la clé du mystère :


Il y a quinze jours a débarqué à Cagliari l’armée du Guadalquivir ... et sur le Guadalquivir, il y a la peste. La peste a débarqué à Cagliari, il y a quinze jours, Excellence. La peste a gagné, Excellence. Quand le vent aura balayé les miasmes, le Roi débarquera avec une nouvelle armée et il n’y aura pas besoin de combattre.



Et cette réflexion de l'évêque qui vaut son pesant de vérité et d'angoisse et la réponse des chevaliers, qui est celle de toutes les armées : Gott mit Uns, In god, we trust...:


Ah ! Mais qui êtes-vous, vous ? Qui êtes-vous pour prétendre commander aux forces de la nature ? Dieu seul, seul Dieu peut faire ça !

Les chevaliers répondent : Dieu est de notre côté.


Enfin, : les quatre Chevaliers se mettent en marche d’un pas martial tandis que les Tambours commencent à battre et ils s’éloignent.


Et l'évêque, fou de terreur, court après les Chevaliers tandis que les Tambours s’éloignent toujours plus, il hurle : «  Je viens avec vous ! … Attendez-moi ! … Je viens avec vous ! … Attendez-moi ! … Attendez-moi ! » …


Mais tandis qu'il court, l'évêque tombe foudroyé.


Ben ça alors, dit l'âne en s'ébrouant comme s'il sortait d'un rêve, tu avais raison, c'est une histoire étonnante, passionnante et il y a bien eu une guerre biologique. Je n'en reviens pas....


 

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20 août 2008 3 20 /08 /août /2008 23:17
« Est-il en notre temps rien de plus odieux, de plus désespérant que de ne pas croire en Dieu... »

 

Quoi, qu'est-ce que tu chantes ?, dit Mârco Valdo M.I. à Lucien l'âne qui en a tant vu et tant entendu...

 

Mais, c'est une chanson..., dit Lucien l'âne à la voix de Caruso.

 

De Brassens, je sais, je connais ce mécréant qui échappera de peu au supplice d'Abélard... Heureusement, il y a encore de bonnes femmes. Et toi, Lucien, qui connut les mystères d'Eleusis et autres sympathiques délires mystiques, vas-tu te mettre à genoux, prier et implorer, faire semblant de croire... Ou vas-tu passer ton chemin sans trop te soucier de ces calembredaines ?

 

Tu sais bien, mon ami Mârco Valdo M.I., que je n'ai pas vocation à me laisser sombrer dans le mystère, ni d'avaler les hosties et cela, justement parce que j'ai connu bien des mystères et que je sais qu'enfin, la nonne aima la brigand et moi, Photis.

 

Dis, Lucien, peux-tu m'expliquer quel genre de plante poussait sur le bord du chemin ? Je t'avais pourtant recommandé de ne pas manger de coquelicots , l'autre jour. Comme tu sais, il y a herbe et herbe.

 

À propos d'herbe,  et de mauvaise herbe, comme avec mon ami de l'époque, que j'emmenais partout avec Marguerite sa donzelle, je ne suivais pas les chemins qui mènent à Rome, il ne t'étonnera pas que j'ai eu quelques ennuis dans le passé, et comme on était aux temps des fanatiques d'Augustin, j'ai tout juste eu le temps de passer les Alpes après avoir dû mener mes amis au bûcher, précisément. J'en tiens pour preuve le récit de Schwob : « Pour Dolcino et Margherita, on les attacha sur un âne, le visage tourné vers la croupe ; on les mena jusqu’à la grande place de Novara. Ils y furent brûlés sur le même bûcher, par ordre de justice.»

 

Hou lala, ouhlàlà, dit Mârco Valdo M.I., je ne savais pas que tu connaissais l'ami Dolcino et l'aimable Marguerite; on en parle encore maintenant de ces deux-là et même, je te le raconterai prochainement, on détruit encore les monuments que leurs amis érigent pour eux. Tout ça, d'ailleurs, colle bien avec l'histoire de l'Achtung Banditen ! D'aujourd'hui.

 

Ah oui, dit Lucien l'âne aux pieds d'Hermès et aux pas de danses de Dionysos, et quel est ce mystérieux Bandit... ? Qui est ce terroriste ? Quelle terreur a-t-il bien pu inspirer et dans quel maquis a-t-il mené son combat ? Car je suppose bien qu'il s'agit d'un de ces ennemis de la société, un de ces gens qui veulent changer le monde pour le rendre plus juste, plus libre, plus honnête, plus humain... Quel est donc cet émule du Che ?

 

Oups, Lucien, dit Mârco Valdo M.I., tu y vas fort et de travers. D'abord, en matière d'émules, excuse-moi, malgré ton caractère d'âne, ce serait plutôt l'inverse; ce serait bien le Che qui serait son émule. Il y a plus de deux cents ans d'écart entre eux. Notre nouvel invité vivait vers 1700. Ensuite, pour le maquis, tu n'as pas tort. Il vivait dans un maquis, qui l'est toujours presque autant aujourd'hui : ce sont les Ardennes, pays de sangliers, de têtes dures, de chasseurs et de taiseux. Pays de Rimbaud aussi.

 

Ha, ha, fit Lucien l'âne en reculant de deux ou trois pas pour montrer qu'il écoutait avec plus de recul les indications de Mârco Valdo M.I..


Quant au terroriste..., dit Mârco Valdo M.I. Oui, il a terrorisé l'Europe et d'un certain point de vue, il la terrorise encore, si terroriser consiste bien en ce que tu as dit : c'est-à-dire vouloir un monde plus juste, la mise en commun des biens, la répartition du travail, le souci de la collectivité, une certaine rigueur morale...

 



Le chœur de l'infâme




Le mieux de l'affaire, c'est qu'il fut prêtre sa vie durant et même curé de deux paroisses, distantes de quelques milliers de mètres l'une de l'autre. Il fut un de ces prêtres – et crois-moi, il y en a eu beaucoup dans l'histoire – qui ne croyait pas du tout aux énormités religieuses que leur état leur imposait de débiter en chaire de « vérité ». Il y croyait tellement peu qu'il s'est excusé dans sa lettre testamentaire à ses paroissiens de leur avoir menti pendant quarante ans et surtout, de ne pas avoir eu l'audace de leur dire la vérité ... Enfin il faut savoir qu'il s'est rattrapé depuis. C'est ce curé qui a lancé la belle imprécation qui résonne encore de tout son sens : «Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »

Et crois-moi, il avait le même souhait à l'égard des riches et des puissants.

 

OH, OH, dit Lucien l'âne, en se grattant le menton et l'oreille du pied. Voilà qui est étonnant... Enfin, je veux dire que c'est étonnant de trouver quelqu'un qui parle comme Dolcino et des autres que j'ai connus dans le monde. Tu n'as pas tort, Mârco Valdo M.I., beaucoup de curés croient autant en Dieu que moi en mes chaussettes. Mais au fait, comment s'appelle-t-il ce curé et comment sait-on ce qu'il a raconté ?

 

Mon bon Lucien, je ne vais pas me lancer dans une conférence érudite sur le sujet, car il y aurait dix mille détails à aborder. Je vais faire simple : il s'appelait Jean Meslier et il dit tout cela dans son « testament » qu'il déposa chez un notaire... Mais, il y a quand même une partie de cette affaire sur laquelle je voudrais insister un peu, c'est l'intervention du Sieur Jean-Marie Arouet, alias Voltaire, qui a voulu étouffer la voix de Jean Meslier en réécrivant quelque peu ses pensées et en faisant un fameux caviardage. Jean Meslier a comme caractéristique principale sur le plan de la croyance, c'est qu'il n'en avait pas et que pour tout dire, en plus de vouloir éventrer des curés, il était athée – il l'est d'ailleurs resté. Mais d'un athéisme militant, et même, pourrait-on dire d'un antithéisme militant. On pourrait sur ce plan le comparer à Max Stirner ou à ton interlocuteur présent. En clair, non seulement Dieu n'existe pas, mais il ne faut pas voir dans son abstraction pure une raison pour le laisser vivre, même erronément; en somme, si la religion est l'opium du peuple, Dieu en est le grand Pavot; il faut l'éradiquer pour que l'homme – toi, moi... puisse vivre. Donc, ce petit salaud de Voltaire – je ne vois pas d'autre mot, avait entendu parlé du Testament de Meslier et il s'est empressé de s'en procurer une copie. Ensuite, sous prétexte d'en faire un résumé, il l'a purement et simplement dénaturé. Il a fait de Jean Meslier, un de ces déistes, à la manière de ceux avec lesquels Voltaire entretenait des relations amicales très suivies.

 

Mais c'est dégueulasse, dit l'âne en lançant une ruade symbolique.

 

Mais, rassure-toi Lucien, tu penses bien que Jean Meslier n'est pas du genre à se laisser étouffer, même par un Voltaire, lui qui, étant de surcroît curé - une circonstance aggravante -  avait osé affronter l'infâme à mains nues.

 

Excuse-moi, dit Lucien l'âne en élevant sa queue en point d'interrogation, mais qui est cette infâme dont tu parles ?

 

C'est celle que Savonarole, Luther, les Anglicans eux-mêmes traitent sans hésiter de Putain : notre Sainte Mère l'Église Catholique, Apostolique et Romaine. Voltaire lui l'appelait « l'infâme ». Enfin, tout ça pour te présenter la chanson que je voulais te faire connaître ce soir et son commentaire. C'est une chanson d'un auteur italien que j'ai traduite. Cet auteur l'a écrite il y a plus de trente ans; il se nomme Anton Virgilio Savona et la chanson s'intitule tout simplement « Le testament du curé Meslier ». En maintenant, allons-y !

 


 


 

 

 


Jean Meslier (Mazeny, Champagne 1664 – Étrépigny, Champagne 30 juin 1729), curé d'Étrépigny, en Champagne (commune proche de Charleville-Mézières , où naquit et grandit plus tard un autre imprécateur de haut vol, le dénommé Arthur Rimbaud - actuellement département des Ardennes – 08 – Région Champagne-Ardennes) eut cette idée de publier – en les déposant sous forme de testament – ses pensées et ses colères à titre posthume. Est-ce parce qu'il y travailla jusqu'au bout de sa vie ou en application d'un principe de précaution ? Toujours est-il que ce texte et sa lettre aux paroissiens qui le présente ont surgi à son décès, puis ont disparu et par la suite, ont connu des fortunes diverses avant de pouvoir venir au jour en édition intégrale plus de deux cents ans après ce dépôt, qui pourtant les a sauvés. Dans cette aventure du « Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier », le caviardage de Voltaire fut assurément une vilénie (Meslier à la sauce déiste de Voltaire est à la correction littéraire et intellectuelle, ce que le fast-food est à la cuisine – une trahison  et pire, une erreur !), mais l'arrangement voltairien eût quand même le mérite (involontaire) d'attirer l'attention sur les 3 exemplaires que Jean Meslier avait déposés au greffe. Grâce soit rendue, dès lors, au hollandais Rudolf Charles, éditeur de son état, qui tenta la première intégrale à la fin du 19ième siècle !

Quant à savoir pourquoi Jean Meslier n'a pas publié de son vivant, j'ai ma petite idée à ce sujet . Tout simplement, il faut quand même connaître un peu les Ardennes pour comprendre que un : trouver un éditeur était en soi une odyssée, deux : qu'écrire le « Mémoire » (outre que de tenir sa charge de curé...), était aussi un formidable défi et trois : qu'enfin, en rédiger les copies prenait du temps et était essentiel pour en assurer la postérité... Le reste est sans doute dû à la volonté d'aller le plus loin possible dans la rédaction... Jean Meslier ne s'en cache pas lui qui commença son texte par : « Mes chers amis, puisqu'il ne m'aurait pas été permi... » et dit – en substance ensuite – « Je vous l'aurais bien dit de vive voix, juste avant de mourir, mais je ne suis pas sûr.... (ceci traduit en langage moderne) que j'aurai encore toute ma tête à ce moment... Donc j'ai pris la précaution d'écrire ». En ce temps-là, la mémoire des bûchers de l'Inquisition illuminait encore l'Europe.

Par ailleurs, on n'a pas fini de disserter sur Jean Meslier. Je n'en dirai pas plus ici, sauf à reprendre ce que les paysans de Lucanie disaient au temps de Carlo Levi (1936) : « Noi, non siamo cristiani, siamo somari » (« Nous nous ne sommes pas des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme »), sauf à reprendre la phrase de Jean Meslier qui excommunie quiconque la prononce ou la reproduit : «Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre. »

Puis-je ajouter, dit Marco Valdo M.I., que c'est aussi le mien de souhait – et pas le dernier.

Et, comme disait cet autre mécréant anarchiste de Brassens : « Et tant mieux si c'est un péché, nous irons en enfer ensemble... Il suffit de passer le pont... »

 






 

 Le testament du curé Meslier.

Chanson italienne – Il testamento del parocco Meslier - Anton Virgilio Savona - 1972

Version française – Le testament du curé Meslier – Marco Valdo M.I. - 2008




Vous avez sur le râble le fardeau pesant

Des princes, des prêtres, des tyrans

et des gouvernements;

des nobles, des moines, des chanoinesses et des prélats,

des fripons de garde-sel et de tabac

et des magistrats.

Vous avez sur le râble les puissants et les guerriers,

les ineptes, les inutiles et les rusés,

et les douaniers,

les riches qui volent pour s'engraisser

laissant le peuple entier

entretemps – crever.

 

Abattez

les riches condottières

et les princes !

Ce sont eux,

pas ceux de l'enfer,

les diables !

 

Des vermines qui laissent au paysan

seulement la paille du grain

et la lie du vin.

Ils théorisent paix, bonté et fraternité

et puis, ils légalisent les trônes

et l'inégalité.

Ils ont inventé le Dieu des puissants

pour endormir et faire plier

les corps et les esprits.

Ils ont inventé les démons et les enfers

pour faire trembler et taire

les pauvres et les sans-terre.

 

 

Abattez

les riches condottières

et les princes !

Ce sont eux,

pas ceux de l'enfer,

les diables !

 

Ce ne sont pas les démons de la cour inférieure

vos pires ennemis,

après la mort; mais ce sont ces gens qui lèvent les doigts,

anéantissent et font pourrir

votre vie !

Et si vous vous unissiez, vous pourriez les arrêter

en utilisant du boyau de prêtre

pour les pendre;

Ainsi, vous ne seriez plus leurs esclaves

mais enfin, du fruit de votre travail, les maîtres !

 

 

Abattez

les riches condottières

et les princes !

Ce sont eux,

pas ceux de l'enfer,

les diables !


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19 août 2008 2 19 /08 /août /2008 21:50

Ôho, hohô, ohé, hôhé.... Y a quelqu'un ? Mârco Valdo M.I., où es-tu ? Mârco Valdo M.I., que fais-tu ?...

 

Je mets ma chemise..., dit Mârco Valdo M.I. d'une voix forte et très appuyée.

 

Ôho, hohô, ohé, hôhé.... Y a quelqu'un ? Mârco Valdo M.I., où es-tu ? Mârco Valdo M.I., que fais-tu ?...

 

Je ferme ma chemise, dit Mârco Valdo M.I., en éclatant de rire et en tapant gentiment sur l'arrière-train de l'âne. Salut, Lucien. Salut, Lucien ? Quand je dis ça, j'ai toujours l'impression de bégayer. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, mon grand ami aux longues oreilles et à la queue dure et raide ?

 

Rien de particulier, dit Lucien l'âne tranquille. La journée s'est passée d'une manière rigoureusement morne. Ce n'est pas que ce soit désagréable, non, simplement, il n'y a rien de spécial à te rapporter. Mais, comme tu le sais, je suis un âne...

 



 

 

Oui, je te comprends, c'est un peu comme ça la vie quand elle est sans aventures extravagantes, quand elle est tranquille, les jours comme les ours se suivent... Un moment, on ne sait même plus trop le jour où on est, ni celui qui vient. Pas d'ennuis, pas de tracas, pas de perturbations, pas de contraintes, pas de coureries, pas d'horaires, pas d'impératifs... Ces moments-là quand ils ne sont plus là, on se rend seulement compte alors que c'étaient parmi les meilleurs qu'on puisse connaître.

 

Eh bien, c'est une vie d'âne ça, dit Lucien l'âne d'or. Du moins, c'est une vie d'âne telle que je l'ai rêvée et telle que je la vis maintenant. Tranquillo, tranquillo... Un long voyage sur une mer calmée, on glisse d'un jour à l'autre, sans trop s'en faire, sans trop savoir à quoi l'on pense...

 

Oui, oui, mon cher Lucien, je vois bien que tu es passé par Éphèse, que tu as côtoyé les philosophes antiques, que tu as traversé le Moyen-Âge où Augustin de Madaure, la ville numide, s'est moqué de toi, la Cordillère des Andes et les déserts d'Afrique et d'Asie... Enfin, cette énumération, uniquement, pour vanter la sagesse de ta réflexion. Je voudrais seulement ajouter que c'est précisément dans cet apparent calme que naissent les plus grands tourbillons poétiques, que se créent les idées, que s'ébauchent les gestes les plus créateurs... En somme, ce vide est plein...

 

Je t'entends bien, Mârco Valdo M.I. et tu as sans doute pressenti bien mieux que je ne pourrai le faire... Cette chose, ce mouvement des choses, ce rien originel de la création... Et cette nécessité qu'il y a à passer par ce néant pour se retrouver... Enfin... On n'est quand même pas là pour philosopher; que vas-tu me raconter aujourd'hui ? Si tu me parlais un peu de notre ami Marco Camenisch ? Je n'ai pas entendu dire qu'il était sorti de sa boîte infernale, qu'ils l'avaient relâché...


 




 


 

 

Non, malheureusement, ces Suisses ne l'ont pas relâché encore ! Cependant, mon ami Lucien, l'âne aux pieds d'Hermès, je veux te satisfaire et je vais te faire connaître la suite de l'histoire d'Achtung Banditen ! Mais d'abord, quelques phrases d'introduction pour nous situer. La dernière fois qu'on en a parlé, Marco Camenisch était en prison à Novara. C'est là qu'on le retrouve. L'extrait qui suit commence en juillet 1993 et se termine en décembre de cette année-là. Il couvre donc une période de six mois. Deux éléments méritent d'être plus spécialement soulignés : la lutte de Marco Camenisch et de ses codétenus pour le respect de leurs personnes et pour des conditions de vie disons « humaines » - contentons-nous de ce mot, provisoirement ; la poursuite et le développement de la relation entre Marco et Manuela... Tu vois, il y a même une histoire d'amour.

 

 

Novara, 30 juillet 1993.

 

Ici, les habitudes sont différentes, les conditions sont différentes, plus de travail et de social et ceci influe sur la communication épistolaire. Je ne réponds plus au vol comme je le faisais un temps.

Je suis devenu fainéant, nonchalant et en plus, je suis en rage contre les discours et le purisme idéologique de ceux qui se trouvent dehors. Cela se passe en Allemagne aussi et surtout, en France, spécialement chez les « intellectuels ». Ces tergiversations m’irritent, ... Il me semble que par certains côtés, la « gauche » dépasse la « droite » dans la pensée réactionnaire et la stupidité...

De mon côté, je n’ai pas l’étoffe du héros et pas la moindre volonté de servir de mythe pour des projections frustrées de celui qui se trouve commodément à l’extérieur. Les principes idéologiques, religieux, abstraits ne m’intéressent pas non plus et, pour faire du chemin ensemble, il faut des faits et il faut rester les pieds à terre ; il vaut mieux sélectionner ses relations.

 

Dans les prisons, il semble que cela va toujours plus mal. Dans le mois de mon procès, passés avec Orlando à la prison de Parme, il y a eu seulement 5 suicides, un peu moins fameux que ceux de Milan. Ici, à Novara, à ce qu’il semble, personne ne se suicide jamais ; on y est « trop bien ». Sûrement un peu mieux qu’à San Vittore, cela je peux le confirmer.

 

Novara, 18 août 1993.

 

Il fait une chaleur du tonnerre de dieu … On dort mal et peu. Je me lève à six heures (heure solaire) car ce mois-ci, je suis balayeur… Je dors peu, mais très souvent, je suis sur mon lit et mes pensées vagabondent. Ces jours-ci refleurissent des tas de souvenirs de filles de mon passé, qui maintenant me paraît lointain, et je me divertis à mettre au point dans mes souvenirs, des visages et des choses assez floues. Après-demain, j’aurai mon entrevue avec Manuela, une autre « cinglée » de ma vie, et en cela, nous apparierions-nous à la perfection ? Je dois reconnaître qu’elle est vive et attentive ; c’est tellement vrai qu’elle a tenu bon et qu'elle a réussi à avoir elle-aussi droit aux visites.

Je me suis inscrit pour le cours d’informatique (vidéographique) et qui sait s’ils me laisseront suivre ce cours. Je pourrai ainsi suppléer au manque / interdiction de machine à écrire pour produire ensuite quelque chose.

 

Novara, 12 septembre 1993.

 

La tendance paraît se consolider à dénoncer et à contrer fermement, à résoudre les conflits par des mesures répressives extrêmement disproportionnées. Le développement systématique des tabassages est en compétition avec la barbarisation générale juridico-pénalo-législative en cours. Ceci s’exprime par l’aggravation de la gestion surtout à l’encontre de la population carcérale qu’on veut exclure des « bénéfices » de la Gozzini et traiter de façon différenciée. Cela signifie une réduction des espaces, une vivabilité réduite et, comme cela est déjà arrivé ici et dans la spéciale de Voghera, une diminution de moitié des heures d’aération, de sociabilité, des rétributions et d’autres choses.

Le camarade Bruno Ghirardi, qui a subi un tabassage, est depuis déjà un temps soumis à une punition disciplinaire à régime restreint semblable au 41 bis. Elle dure 6 mois, elle est prorogeable par 3 mois et c’est une disposition interne dont est responsable le tribunal de surveillance sur requête de la direction. A la fin des 6 mois, arbitrairement et dans un but purement persécutoire, la mesure a été prolongée à l’encontre de Bruno.

En France, Georges Cipriani, prisonnier, membre d’Action directe, après avoir été soigné par des doses « massives » de psychotropes, a été retransféré en détention d’isolement « normale » dans une prison spéciale.

 

Novara, 13 septembre 1993.

 

Communiqué de presse des 70 détenus de la section spéciale.

 

Les détenus de la section spéciale (Côté A/B) s’abstiendront de toute activité de travail les lundi 13, mardi 14 et mercredi 15 pour protester contre la pratique des tabassages en usage fréquent dans la prison de Novara.

Le tabassage à froid répété et brutal qu’a subi Bruno Ghirardi le mercredi 8 est seulement de dernier en date.

 

 

 

Novara, 2 octobre 1993.

 

Il m’est arrivé aujourd’hui une proposition intéressante de deux garçons suisses de 25 et 28 ans, l’un Tessinois et l’autre des Grisons. Ce sont deux étudiants à l’école d’Art de Lausanne et ils voudraient faire un film documentaire sur mes aventures, avec des interviews filmées de moi et des personnes que je connais.

 

Novara, 25 octobre 1993.

 

Le 26 novembre, il y aura le procès d’appel et je n’ai pas encore décidé si j’y serai ou non. A dire vrai, je ne tiens pas vraiment à y aller, mais dans l’ensemble, comme pour toutes les choses, il y a du pour et du contre. Pour le moment, je me grignote avec goût le « panozzo » de notre terroir.

A présent ici, il fraîchit, mais l'État italien paraît avoir trouvé des sous pour le mazout et c’est pourquoi, on chauffe ; c’est pas plus mal. La vie s’écoule comme à l’habitude. Durant la journée, j’ai peu de place pour mon travail, que je concentre pour cette raison que je le concentre vers le soir-nuit. Puis, j’ai commencé et je continue ce yoga qui ne me déplaît pas. On m’a accordé deux heures de plus de visites par deux mois. C’est mieux ainsi, maintenant, je ne dois plus pénaliser personne par manque de temps.

 

Novara, 30 octobre 1993.

 

Communiqué de presse des détenus grévistes de la section spéciale.

 

Du 30 octobre au 2 novembre 1993, nous refuserons la nourriture administrative et du 30 octobre au 8 novembre 1993, nous nous abstiendrons de toute activité de travail, en solidarité avec la population détenue qui proteste pour le moment ou non par des initiatives diverses pour des revendications similaires.

Nous demandons de fermer l’Asinara et Pianosa. Un traitement carcéral et judiciaire égal pour tous. L’abolition de la perpétuité. L’abolition du décret Scotti-Martelli et du 41 bis. L’abolition de la loi sur les repentis. Régularisation générale ? Les malades graves chez eux. Application indiscriminée de la loi Gozzini. Application du code pénitentiaire par exemple pour la détention près du domicile des familiers.

 

Maintenant, je suis un homme de peine de la section. Cela signifie : nettoyage de la section, des douches et surtout servir les détenus enfermés. C’est un stress total ; par chance, la grève a raccourci le mois...

Avec les camarades, je discute beaucoup et j’espère pouvoir continuer à apprendre et à grandir en débattant. Par contre, en ce qui concerne les rapports affectifs et l’amour extérieurs, je n’ai pas à me plaindre, au-delà de mes limites à les cultiver et des circonstances. M’est arrivée avec le courrier d’aujourd’hui la lettre de Manuela ; je me sens mal quand elle ne m’arrive pas. Je suis désormais dépendant de recevoir comme de donner cette dose journalière d’affection.

 

Novara, 30 décembre 1993.

 

Les fêtes sont presque passées et par un froid terrible, on attend l’année nouvelle...

Tout en étant sans grandes nouvelles, j’ai reçu volontiers la visite de Rambert et le 27, l’express de Salvatore Cirincione m’est parvenu.

Effectivement, le 15, il a été opéré de calculs : « un gros comme une noix et une centaine d’autres très petits cailloux. » Avant l’opération, Salvatore a subi d’énormes pressions. « Après une bagarre avec le docteur Cospito, car celui-là estimait que j’avais des intentions suicidaires, le 10 décembre, il me fit mettre sous surveillance permanente et avec un planton dans ma cellule.

Après de dures polémiques, le chantage de ne pas l’opérer et une visite psychiatrique, qui atteste son absence de volonté suicidaire, le 13, on lui enleva le garde. Le 14, le chirurgien lui répéta la nécessité absolue de l’opération, mais aussi de la suspension de sa grève de la faim. Salvatore la suspendit et fut opéré le 15…

Les dix jours suivants « ont été terribles, pas tellement à la suite de l’opération, mais en raison des infections et des antibiotiques pour le foie et la vessie. » Sa lutte est fort intéressante et donne l’idée de ce qu’est San Vittore : « … en cette période, nous sommes en train de lutter et mon initiative commence à donner ses fruits. Le 23-24, tout le centre médical a refusé la mauvaise nourriture de l’administration. Ce fut un succès.

Pensez, le soir du 24, ils nous ont servi un brouet, une salade pourrie et un tout petit morceau de fromage. C’était le DÎNER. Toutes les assiettes ont volé dehors des cellules… ».

 

 

 

 


 

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18 août 2008 1 18 /08 /août /2008 23:46

C'est curieux, Mârco Valdo. Que sont tes amis devenus ?, dit l'âne Lucien. On dirait qu'ils ont disparu de la terre, on ne les voit plus.

 

Mais enfin, mon bon Lucien, dit Mârco Valdo, ne sais-tu pas que c'est la période des vacances. Comme disait Ricet Barrier, « C'est les vacances, c'est la transhumance ». Ils sont tous mordus par le virus des voyages et l'obligation vacanciaire. Enfin, presque tous, comme tu vois. Mais tu dois en connaître un bout toi sur les voyages, au fait.


Et bien oui, bien évidemment, que j'en connais un bout sur les voyages, je n'ai quasiment fait que ça pendant tout un temps, dit l'âne aux pieds d'Hermès et à l'endurance plus grande que celle du chameau, animal exotique. Mon histoire a commencé sur une route de Thessalie, comme tu le sais et depuis, j'en ai fait du chemin et plus encore si tu considères que je suis l'âne, je veux dire – à tes yeux s'entend, dans ce récit – l'incarnation de tous les autres ânes, l'âne en soi. L'âne de son petit pas clinquant trottine depuis des siècles et des siècles d'esclavage et n'est pas près de sortir de ce tombeau. Mais que veux-tu dire avec ton obligation vacanciaire ?


L'obligation vacanciaire... L'obligation vacanciaire... comment te dire ? Tu vois, Lucien mon ami, il fut un temps où l'homme ne connaissait pas cette obligation vacanciaire, c'était au temps où le travail, cette horreur moderne, découpée par le temps, où l'être perd son temps ou le prostitue, ce qui somme toute est la même chose... où ce travail, cette décomposition de la vie, n'avait pas encore dévoré la vie de l'homme. Et dans ce temps-là, l'homme – et bien entendu, la femme, l'enfant, le vieillard... ne connaissaient pas les vacances, pour la simple raison qu'ils n'en avaient pas besoin ayant la plus grande maîtrise de leur temps dans une vie où le congé, la sieste, le chômage étaient à la fois présents, considérés comme parties intégrantes de la vie et espaces privilégiés pour agrémenter – dans les périodes de paix... - le séjour de l'homme, etc... sur cette terre. Les vacances, souviens-toi, sont apparues en même temps et à cause du Service de Travail Obligatoire, le célèbre STO; en clair, le travail salarié. C'est en quelque sorte une aumône que l'on fait à celui, celle, etc... à qui l'on a pris son temps. L'homme vois-tu n'est plus ni maître, ni libre de son temps, ce qui en clair veut dire qu'il n'est plus maître ni libre lui-même. On a mis des barreaux aux temps et une petite récréation parfois et de temps en temps est accordée... et encore, il a fallu que les gens se fâchent très fort. Qu'ils imposent par la force qu'on leur rende une partie du temps, de leur temps qu'on leur avait pris. Ce ne fut aps facile. Et encore, on leur a repris en organisant les vacances... en les groupant et en les enfermant dans des camps, dans des centres.



Ben, ça alors, dit l'âne Lucien. Il est vrai que je viens d'un autre monde et que je suis un âne. Mais quand même, c'est horrible comme destin.


J'explique : comme on avait constitué un espace libre, c'est le sens du mot vacance – tu remarqueras qu'il est au singulier, que la vacance est une matière, la vacance est pure liberté, on y fait ce qu'on veut... La vacance, crois-moi, n'est en aucun cas compatible avec le rendement, avec la nécessaire rentabilité de toute chose. Celui qui comme Tytire se laisse aller à rêver quand ça lui chante sous un tegme fage, se met par la même en état de vacance et bien entendu, quel profit – financier, bien évidemment – un tiers peut-il tirer de pareil néant. La vacance, c'est le rien qui se retourne sur lui-même; elle ne laisse aucune place pour le marché, le marchand, la marchandise. La vacance, c'est le temps du fainéant; le fainéant est celui qui fait ou ne fait pas, selon les événements, selon les nécessités réelles et pas selon ces décompositions théoriques de la vie – le dieu ici étant bien évidemment Hermès, dieu du commerce, de l'exploitation et de tes pieds. J'ai dit décomposition et je vois bien à ta tête que tu imagines des champignons ou des animalcules en train de réduire l'objet en débris divers....


Oui, c'est à peu près ce que j'imagine en t'entendant... Je vois ma vie rongée par des sortes de mérules ou des termites ou des vers ou que sais-je encore qui prospèrent ainsi sur mon temps...

Voilà ce que je ressens, Mârco Valdo M.I..


Et bien, mon cher ami l'âne aux dents banches comme les carrières de Carrara sous le soleil du matin, je suis très heureux de t'entendre ainsi parler, car c'est exactement ça que je voulais faire sentir. Cette odeur de pourriture qui émane du temps décomposé en fines particules qui engraissent des parasites. Tu vois, en prenant comme prétexte la mesure du temps, on introduit celle de ta finitude, aussi; on te transforme en un agrégat de particules indifférenciées qu'on manipule, qu'on met en tas, qu'on pèse, qu'on mesure... Mais ces particules en réalité, c'est toi-même décomposé. À partir de là, on les manipule comme on veut et te voilà devenu un tas de choses vagues et interchangeables auxquelles d'autres s'empressent de donner un sens, une valeur forcément et fondamentalement marchande...


Et pourquoi diable font-ils cela ?, se demande et demande Lucien l'âne en fronçant les sourcils à en loucher. Enfin, façon de parler car l'âne n'a pas les yeux en face des mêmes trous que l'humain et de ce fait, a du mal à loucher; c'est même impossible. Pourquoi ?


Tout bêtement, mon ami Lucien, dit Mârco Valdo M.I., pour en tirer profit, de sorte à – du moins l'imaginent-ils – à profiter du temps qu'ils t'ont pris contre de la monnaie de singe. Mais pour en revenir aux vacances, ce sont des éléments décomposés qu'on a regroupés arbitrairement et qu'on affecte arbitrairement à la vacance. Mais ce ne serait dès lors pas profitable, alors on en arrive à imposer en plus de la décomposition-recomposition ci-dessus évoquée, un schème, une façon de faire qui redéploie le mode marchand au cœur de ta vie. Mais au fait, pourquoi donc en suis-je venu à te parler de ça ? Tu te le demandes, je le vois, et figure-toi, je me le demande aussi. Je me souviens : je voulais te parler d'un voyage.


Ah, ah, dit Lucien l'âne qui par moments se prend pour Bosse-de-Nage, qui comme chacun sait, ne dit que AH, ah ! Car il ne sait rien dire d'autre. Et de quel voyage s'agit-il ?

 


 


D'un voyage en Sicile de notre ami Carlo Levi. On ne rencontrera pas Impy cette fois-ci. Non, mais on va rencontrer d'authentiques bandits siciliens, qu'il ne faut en aucun cas confondre avec la mafia, qui est une tout autre chose et par ailleurs, ce récit de voyage a certaines vertus. Et notamment, comme autre vertu, il a celle de faire connaître le rôle que Carlo Levi a joué auprès des paysans du Sud. On verra aussi la curieuse aventure qui arrive à un avocat...


Je pense, dit l'âne que ça va être étonnant, cette histoire de bandits siciliens et d'avocat.


Je te crois, on dirait un western. Carlo Levi au cœur d'un western sicilien... et en plus, ce voyage est très extraordinaire, véritablement exceptionnel et je te laisse quelques secondes pour deviner en quoi...


Que veux-tu, mon ami Mârco Valdo M.I., que j'en sache ? Je suis un âne, pas un devin.


Et bien, tu as répondu parfaitement.... Car ce voyage a ceci de très particulier qu'en fait, il n'a pas eu lieu. On raconte un voyage qui n'est pas un voyage imaginaire, non ce n'est pas en cela qu'il n'a pas eu lieu... Les faits racontés ont réellement eu lieu, mais de voyage, tintin, ninette, point. Il eût pu, cependant... Enfin, tu verras par toi-même.


Oh, oui, commence tout de suite, dit l'âne très impatient et piaffant en tapant ses pattes avant sur le pavé.


Une dernière chose avant de commencer le récit, j'attire ton attention sur la fin, sur la sorte de morale conclusive du récit et sur le peu d'honnêteté naturelle des autorités publiques... Là, en une seconde, on comprend pourquoi les paysans – c'est-à-dire ici la figure du « pauvre », du « sans » - sans argent, sans papiers, sans travail, sans grade... bref, du peuple – ne doivent jamais avoir confiance dans les autorités... D'ailleurs, ils sont d'une méfiance, mais qui après ça, pourrait dire qu'ils ont tort ?

 

 

 

 

 

Le voyage – 1948

 

En 1948, bien des années avant les voyages en Sicile relatés dans « Les paroles sont des pierres », Carlo Levi fut invité à se rendre en Sicile, mais en raison d’un contretemps, il ne put malheureusement s’y rendre. Tel est le voyage manqué et sans aucun doute, regretté dont il parle au début de son livre. Au sujet de cette invitation au voyage, il faut se souvenir qu’en 1948, Carlo Levi venait de publier deux ans auparavant « Le Christ s’est arrêté à Eboli » et que ce livre avait fait beaucoup de bruit à l’époque en mettant en évidence la condition misérable que l’Italie faisait aux paysans du Sud. De ce fait, Carlo Levi était connu et reconnu par les « contadini » et les « braccianti » dans le cœur desquels il tenait une place particulière et aux yeux desquels il apparaissait comme leur allié et leur défenseur et même, comme une sorte de représentant informel des peuples du Sud au cœur de la capitale nationale et face aux autorités, au pouvoir et à l'État italiens. A ce titre, Carlo Levi recevait régulièrement des courriers, des appels au secours, des visites, des cadeaux et des invitations.

Il avait donc reçu un jour dans son appartement romain la visite d’un avocat sicilien qui venait lui porter une invitation de paysans siciliens. L’avocat employa d’étranges manières pour exposer l’affaire à Carlo Levi. Le message dont il était porteur se résumait ainsi : des paysans, de braves gens devenus brigands, avaient entendu parler du livre de Carlo Levi et ils voulaient honorer l’écrivain en l’invitant à une partie de chasse dans les maquis où ils résidaient.

L’avocat indiqua à Carlo Levi en renforçant son discours par des gestes énigmatiques que s’il venait au rendez-vous, il n’aurait rien à craindre. L’avocat tendit la main droite à l’horizontale, paume vers le bas, et il montra le dessous de la main en disant « Là dessous, il ne pleut pas » : message clair pour qui sait l’interpréter. Chez eux, l’invité serait à l’abri.

Comme l’expliqua l’avocat, ces braves gens, à la manière sicilienne, étaient devenus brigands par la force des choses. C’était un groupe de paysans sans terre qui s’étaient rassemblés autour d’un des leurs, un poète « naturel » qui s’exprimait facilement en vers. Ce dernier avait dû fuir dans le maquis car sans savoir à qui il s’adressait, il s’en était pris – pour défendre une femme – à un des pires bandits de la Sicile de l’époque, un véritable tueur, le chef d’une terrible bande d'assassins et ce dernier avait lancé ses hommes à sa poursuite.

«… un jour il était entré dans l'auberge de son village et il y avait trouvé un étranger ivre qui voulait encore boire et menaçait violemment la patronne. Il l'avait pris par la veste et jeté à la porte, mais en faisant ce geste, il comprit et se dit  : "Je suis mort." Il avait, trop tard, reconnu l'ivrogne  : c'était le plus terrible et le plus féroce bandit de ces années de l'après-guerre  : un vrai bandit traditionnel, qui avait l'habitude de couper en morceaux les prisonniers séquestrés pour les rançons et de commettre toutes sortes de cruautés démesurées.

Le paysan s’était précipité chez lui pour prendre son fusil et il s'était échappé dans la campagne. D'une meule, il voyait dans la nuit accourir à cheval la bande qui le cherchait pour le tuer. "Ils couraient sur les étoiles", racontait-il ensuite, du fait qu'il voyait de sa cachette les étincelles sous les fers des chevaux au galop. Ainsi, pour fuir les bandits, il s'était fait bandit lui-même et il fut rapidement rejoint par des amis, des parents et d'autres paysans sans terre et une bande nouvelle naquit. »

Mais finalement, l’invitation fut acceptée par Carlo Levi et malheureusement, le télégramme qui fixait le rendez-vous arriva trois jours trop tard. Il ne put s’y rendre. Dommage !

La partie de chasse eut quand même lieu : on y tua une multitude d’oiseaux. L’invité absent, les brigands imposèrent à l’avocat de leur lire « Le Christ », le soir, au cours du repas qui suivit la chasse. La chasse dura sept jours : le temps, rapporte Carlo Levi, pour que l’avocat termine la lecture – à haute voix – du livre.

Il n’y eut pas d’autre chasse : les paysans-bandits s’étaient fait piéger par les autorités : on leur avait promis l’impunité ; on les mit en prison.

 

Par Marco Valdo M.I. - Publié dans : Si on parlait de l'Italie

 

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17 août 2008 7 17 /08 /août /2008 22:06

Je t'assure, mon bon Lucien, dit Mârco Valdo M.I., il faut avoir lu ou à tout le moins parcouru le roman de Gabriel Garcia Màrquez pour saisir tout le sens de ces chansons; sinon, en effet, elles t'échappent.



Si je t'entends bien, Mârco Valdo M.I., il y a des chansons qui en quelque sorte dérivent d'un roman ou un d'un autre et qu'il est presque indispensable de connaître ce roman ou cet autre pour comprendre la chanson.



Hum, hum, dit Mârco Valdo M.I. en souriant et en hochant la tête, c'est presque ça. Par exemple, tu te souviens de la chanson que j'ai faite à propos de Chveik le soldat...



Oh, oui, bien sûr !, fait l'âne Lucien en inclinant la tête dès la base du cou, là où par dessus se termine la crinière. Et laisse-moi te dire que non seulement je m'en souviens bien, mais que je n'ai pas encore eu l'occasion de te dire combien elle m'a plu et comme elle me paraît d'une inhabituelle qualité. Faut dire bien sûr que Chveik est un personnage extraordinaire et qu'il était difficile de rater une chanson sur ce sujet... Néanmoins, je te tire mon chapeau... D'accord, je n'en ai pas, mais as-tu déjà vu un âne avec un chapeau et je ne peux quand même pas ôter ma crinière... En fait, je n'ai rien à ôter...



Si, si, tu pourrais ôter ton pied du mien..., dit Mârco Valdo M.I. en riant. Ton enthousiasme te fait faire des bêtises. Tu remarqueras que je n'ai pas dit des âneries... Car que peux-tu faire d'autre, quoi que tu fasses...



Ce n'est pas drôle..., dit Lucien l'âne au pied d'Hermès et de diamant sud-africain en le retirant, mais c'est tout à fait juste. Mais comme on est dimanche, tu me dois deux chansons (au moins); enfin, deux canzones du dimanche, comme tu les appelles et je suppose que ce sont celles dont tu m'as parlé en commençant avant que tu ne dérives vers Chveik.



Oui, dit Mârco Valdo M.I., c'est exactement ce que je compte faire quand tu m'auras laissé terminer mon explication à propos de la chanson sur Chveik le soldat. Comme je l'ai écrite, je sais comment elle a été faite. Les contraintes sont les suivantes : il faut que ce soit une chanson du point de vue de la forme – par exemple, c'est plus courant qu'elle soit versifiée, mais ce n'est pas indispensable. Elle doit avoir – le texte doit avoir en lui-même la musique ou en tout cas, une musique. Du point de vue du texte, c'est complexe une musique, car ce n'est pas seulement des sons (les voyelles), c'est aussi et en même temps, un rythme – la scansion.



Oh, oh, dit Lucien l'âne, ça m'a l'air bien compliqué tout ça.





Une chouette léviane pour symboliser Athèna




Des fois, ça l'est; des fois, ça l'est pas. Pour la chanson sur Chveik, ce fut très simple. En fait, chaque fois que je fais une parodie ou une chanson, c'est simple car l'ensemble vient au jour ou si tu veux, sort de ma tête, comme Athèna, que symbolise la chouette, sortant de la tête de Zeus toute armée et poussant son cri de guerre. Dans le cas de la chanson sur Chveik, elle raconte Chveik. Si un jour, tu lis les aventures de Chveik, tu verras que la chanson en quelques lignes a tracé un portrait de Chveik et de sa principale aventure. En plus, elle est synthétique; en l'ayant entendue, tu sais qui est Chveik et de façon générale, tu as une idée de sa vie et tu pourras le reconnaître quand tu le rencontreras. Pour en revenir au début de notre conversation, c'est une chanson qui ne suppose absolument pas qu'on connaisse quoi que ce soit de Chveik avant de l'entendre et elle s'efforce de faire connaître Chveik à qui elle rend hommage et accessoirement, de conduire l'auditeur à lire le roman de Hasek.



Ah, ah, dit l'âne Lucien en songeant à Bosse-de-Nage, ce n'est pas ce que tu as dit au début. Tu disais qu'il fallait avoir lu le roman au préalable et maintenant, tu dis le contraire... Explique-moi...



Et bien, précisément, ce sont des chansons qui dérivent de romans, mais les unes comme je te l'ai dit nécessitent une connaissance du roman et s'inscrivent à l'intérieur de l'orbe culturelle de ce roman et les autres ouvrent l'univers de ce roman à partir du monde extérieur. J'ai fait cette distinction, car les deux chansons d'aujourd'hui supposent que tu connaisses le roman. Enfin, tu peux évidemment comprendre ce qu'elles racontent, mais bien des choses vont t'échapper. Elles fonctionnent comme à l'intérieur d'une « comédie musicale », bâtie sur un roman. De toute façon, ce sont des chansons merveilleuses et tout à fait en phase avec le roman et c'est un réel plaisir de les découvrir.



Bon, si tu me les faisait entendre..., dit l'âne en se frottant la tête sur le tronc de l'arbre voisin – un saule ?, j'essaierai de me débrouiller avec elles comme avec toutes les nouvelles chansons qui m'arrivent.





Je résume, dit Mârco Valdo M.I., : la première raconte l'arrivée du train à Macondo. Macondo Express est une façon de parler; en fait, c'est de la dérision. Ce fameux express est un tortillard de la plus belle espèce. La seconde parle du Colonel qui est sans doute le personnage central de ce roman assez foisonnant avec lequel on pourrait sans doute tenir cent ans dans la solitude à démêler les fils, les petits-fils et les arrières petits-enfants du fondateur de Macondo, un endroit perdu là-bas au fond derrière les marais, passées les montagnes. Et maintenant, place aux canzones du dimanche :









Macondo Express


« Fusils muets amigos »

Dans la version italienne de cette chanson, directement inspirée du roman Cent ans de Solitude de Gabriel Garcia Màrquez, qui comme chacun sait était Colombien, écrivait en espagnol et publia en Argentine, il y a quelques vers en espagnol; le traducteur les a laissés en l'état comme il se devait.

Pour les détails, voir l'excellente traduction en français des époux Durant et pour les hispanisants, le texte original. Il doit bien en traîner un exemplaire à la bibliothèque de ces trente millions de bouquins publiés.


« Fusils muets amigos »



Le train avance en force, on dévore la forêt

Ay madre! Está llegando un tren de extraños pasajeros

Le cirque arrive sur la place et le village se réveille.

Y todo el mundo sale para dar la bienvenida

Arcadio e Pablo Marquez font la file pour les tatouages,

et le petit Buendia est sur le wagon avec la glace.

Hay magos, hay acrobates, hay juventud rebelde

Fusils muets, amigos, on ne tire pas sur les clowns.

Ne tire pas commandant, ne me tire pas président,

Ne t'immisce pas trafiquant, la foire arrive

avec le Macondo express oh oh oh oh oh oh...

Del expreso del Hielo saliron los equipos

Messieurs sur le rideau, le rêve fou a pris vie

Soné que la neve ardía y el fuego se helaba

Le dragon crache le feu sur l'Amérique perdida.


La fête est commencée avec tambours et guitares,

Le chariot des Gitans apporte glace, notes et flammes.

Como me desperte mi sueno estaba realizado

Fusils muets, amis, on ne tire pas sur les clowns.


Ne tire pas commandant, ne me tire pas président,

Ne t'immisce pas trafiquant, la foire arrive

avec le Macondo express ...


Chanson italienne – Macondo Express – Modena City Ramblers
Version française - Macondo Express – Marco Valdo M.I. – 2008


 


 


 


Cent ans de solitude



Colonel, rends tes armes

tu ne peux vaincre, la lutte est déjà finie

Tu as l'Église contre toi,

Tes alliés t'ont trahi

et tu as déjà perdu trop d'amis

dans cette guerre.

Tu as pris part à trente-deux révolutions

et tes trente-deux révolutions, tu les as perdues

(Tienes que esperar!)

Quand tu t'y attendras le moins

viendra un homme

avec ton drapeau en main.

Cent ans (cien años) de soledad

trop de défaites, trop d'ennemis

Tienes que esperar

tienes, tienes que esperar

Cent ans (cien años) de soledad

Le président, le cardinal

le fonds monétaire international

(Tienes que esperar!)

Remedios travaille

au marché de San Cristobal

à l'étal de fruits de sa mère.

À cinq ans, elle a déjà appris

à trafiquer le reste

avec les gringos et les touristes japonais.

Elle descend des Mayas, seigneurs de la Terre

Pour un dollar, on peut la photographier

et sur les photos, elle ne sourit pas,

mais il semble qu'elle écoute

le son d'une musique lointaine

Tienes que esperar

tienes, tienes que esperar


Cent ans (cien años) de soledad

d'échines pliées, de femmes battues

Gardes blanches, mains armées

Cent ans (cien años) de soledad

De vieilles chansons oubliées

des jours rebelles de Paddy Garcia


Padre Miguel vit dans sa favela

Il cherche chaque jour

à donner une réponse

aux miséreux, aux voleurs

aux enfants des rues

avec leurs regards durs et épouvantés à la fois

Aux putains et aux jineteras

aux fugitifs, aux morts de faim

Dieu leur a promis

les cieux et la Terre

et les autres hommes

les jettent dans la boue

Tienes que esperar

tienes, tienes que esperar


Cent ans (cien años) de soledad

Espère et attends, attends et espère

Cache le crucifix

et le drapeau rouge

Cent ans (cien años) de soledad

de mensonges, de parades,

de couvres-feux, de vies volées.



Chanson italienne – Cent'anni di solitudine – Modena City Ramblers – 1997

Version française – Cent ans de solitude – Marco Valdo M.I. 2008





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16 août 2008 6 16 /08 /août /2008 23:29

 

Clip, clap, clop, tagada, tagada et hop, un petit saut.

 

Telle est aujourd'hui l'entrée en scène de l'âne Lucien qui n'en peut mais...

 

Ah, Ah ! Je t'ai surpris, tu rêvais encore une fois..., dit Lucien, descendant de Lucien dont on ne sait si c'est celui de Samosathe ou celui de Madaure et qui tel le singe Bosse-de-Nage dit Ha, ha !

 

Oui, si tu veux dire ainsi, dit Mârco Valdo M.I.. Mais ce n'est pas exactement ça...

 

Quoi, tu m'as l'air bien sombre, héros !, dit l'âne en se gondolant, c'est-à-dire s'agissant d'un âne, il saute d'un pied sur l'autre, alternativement un pied avant, puis un pied arrière, puis l'autre pied arrière, puis le pied avant correspondant, le tout dans le sens des aiguilles d'une montre, le sens horaire. Ce qui à l'évidence indique qu'il a commencé du pied droit... Mais il ne venait  pas de se lever, ne vous inquiétez pas !

 

Oui, si tu veux dire ainsi, dit Mârco Valdo M.I.. Mais ce n'est pas exactement ça...

 

Ben quoi, qu'est-ce qui t'arrives, mon ami Mârco Valdo M.I.? Te voilà bien triste, tout préoccupé, tout comment dire... angoissé ...

 

Voilà, mon ami Lucien l'âne aux pieds ailés et zélés, je suis à la fois tout à fait content et en même temps, très effrayé de la chanson que je viens de faire... Je dis faire car c'est une parodie et que dès lors, le mot créer ne s'appliquerait que très imparfaitement et même, abusivement, me semble-t-il, ne te semble-t-il pas ?

 

En effet, tu as raison, dit l'âne compatissant, composer n'irait pas mieux, car tu ne connais pas la musique et que je te soupçonne fort de faire des parodies, car là au moins, la musique existe déjà.

 

Tu n'as pas tort, Lucien, et j'ajouterais que le texte aussi existe déjà. Mais ce n'est pas cela qui me tracasse, vois-tu. Le travail du parodiste est quelquefois réduit à la plus simple expression, surtout quand l'auteur de la chanson a du génie et cette fois-ci, pour cette chanson-ci, pour cette parodie-ci, du génie, il en avait et de façon magistrale. Oh, je sais que beaucoup l'ont critiqué, l'ont trouvé dépassé, un peu vieillot, fort ancien, hors jeu en quelque sorte et là, le travail du parodiste donne des clés pour savoir ce qui relève du génie, ce qui est du texte qui passe à travers le temps et ce qui est pure cuistrerie ou confiserie momentanée. Car vois-tu, le parodiste est confronté au texte – plus qu'à la musique qui n'est jamais qu'un substrat, nécessaire certes, mais pas signifiant. Par contre, bien sûr, une musique bien mariée à un texte lui donne une amplitude, une saveur... en somme, la musique, c'est la sauce dans un plat.

 

D'accord, mais où veux-tu en venir ?, dit Lucien un peu abasourdi par un pareil torrent de paroles. Et puis de qui et de quoi tu me parles ?

 

Excuse-moi, mon brave Lucien, mais je continuais – tout haut – ma réflexion intérieure. Bref, tu avais de la pensée à l'état pur, mais elle m'était destinée – à usage interne, en quelque sorte. J'en profite pour te dire que c'est comme ça du matin au soir dans ma pauvre tête et même quand je te parle ou quand je fais autre chose, par exemple, marcher ou conduire ou lire ou manger, bref, à peu près tout, sauf dormir – et encore, ce flot de paroles me traverse en permanence.

 

Eh ben ... dit Lucien, heureusement que je suis un âne. Mais, si je ne perds pas tout à fait le nord, il me semble que tu parlais d'une chanson, de sa parodie et de génie.

 

Oui, oui, exactement. Revenons-y. Dans la parodie d'aujourd'hui, qui est une chanson de chômage, car tu sais que je suis moi-même chômeur et que j'ai promis à mes camarades de faire des parodies dont le thème est le chômage, il y a tellement de génie que je n'ai pas eu grand chose à faire, sauf peut-être d'y penser. Bon, mais pour ne pas rester trop longuement dans le flou artistique, ce génie de la chanson s'appelle Charles Trenet. Je ne vais pas te raconter sa vie, mais sache quand même qu'il a commencé dans les années 1920 et qu'il chantait encore – la dernière fois, en 1999. Il a été le maître de toute la grande chanson française et il a enterré presque tous ses émules. Je dis émules, car c'est un mot qui te plaît bien...

Excuse-moi, Mârco Valdo M.I., mais tu dis tellement de choses en même temps que je n'arrive pas à suivre convenablement. Oui, j'apprécie beaucoup le mot émule et plus les émules de Charles Trenet que ceux du pape. Cependant, tu as dit que la chanson de Trenet – et je ne sais toujours pas laquelle – était tellement pleine de génie que tu n'as eu qu'à y penser et ta parodie était faite... C'est très intriguant... Dis-moi.

 

Oui, c'est comme ça. Pour cette parodie, j'ai chantonné Trenet et la chanson est venue d'elle-même. J'ai juste dû changer un mot, un seul. Tu imagines...

 

Euh, oui... dit l'âne Lucien, vraiment désarçonné, ce qui est singulier pour un âne.

Enfin, je comprends... Enfin, je ne comprends rien...

Quelle peut donc bien être cette chanson ?

 

Tout simple, dit Mârco Valdo M.I., c'est Je Chante et je n'ai eu qu'à remplacer « chante » par « chôme »... « Je chôme soir et matin, », tu vois tout de suite, la gueule que ça a.

 

Oh, oh, c'est vrai que c'est du génie..., dit l'âne tellement estomaqué qu'il en plie les genoux.

 

Et bien, dit Mârco Valdo M.I., ce génie-là s'appelle Trenet. Crois-moi, tu verras, pas un mot de changé et ça colle au milipoil. Du génie et une puissance d'expression... renversante. Mais et c'est là que j'ai commencé à réfléchir avec plus de gravité, ma première réjouissance passée, je me suis aperçu que cette chanson, parodiée comme ça, débouchait sur la réalité tragique de mes camarades chômeurs qui se suicident.

 

Quoi, des chômeurs se suicident... ? Et pourquoi ? Car ils sont chômeurs ? Ben vous les humains, vous avez de ces manières... Faire mourir vos semblables.... pour rien, en quelque sorte, car il y a tellement de choses, de vivres,  de nourritures, de moyens, d'argent... qu'il suffirait de partager... même un peu pour commencer. Vous pourriez aussi répartir la charge de travail... Mais enfin, moi, je suis un âne... et ce que je dis, c'est ce que j'en dis...

 
 

Oui, dit Mârco valdo M.I., il y a des chômeurs qui se suicident... De désespoir, sans doute; de rage aussi, peut-être; en fait, je pense bien et crois-moi, je le ressens étant l'un d'eux – je pense bien qu'ils se suicident tellement le monde environnant les méprise, tellement les fonctionnaires les rudoient, tellement les contrôleurs les poursuivent, tellement même, crois-moi, leurs anciens camarades de travail les oublient, même eux, si, si... Enfin, tellement ils sont humiliés, tellement ils souffrent, tellement ils étouffent, tellement on les presse de trouver l'introuvable, le Graal, la Pierre philosophale, l'Atlantide, que sais-je... Tellement on les somme de chercher des emplois dont tout le monde sait qu'ils n'existent pas... Crois-moi, on les pousse à la folie, puis naturellement, au suicide et pire encore,  je pense que c'est  VOLONTAIREMENT.  Car, comment expliquer qu'un être pensant, ayant connaissance de tous les éléments du problème, sachant qu'il y a des centaines de milliers, des millions de chômeurs et énormément moins d'emplois, comment un être raisonnable et honnête peut exiger d'autres êtres pensants de trouver des emplois qui n'existent pas et des emplois que pour des raisons tout aussi absurdes, on ne veut pas créer ? Un tel dilemme - celui du chômeur - ne peut déboucher que sur la folie et finalement, sur le suicide.

Enfin, mon bon ami Lucien, regarde toi-même la chanson et tu me comprendras.... Une dernière chose cependant, je ne vois littéralement pas quelles images je pourrais mettre ici... alors, pour une fois, il n'y en aura pas.

Sauf, peut-être, les coquelicots. J'avais une amie chômeuse et la dernière fois que je l'ai vue... comme un petit coquelicot, mon âne, comme un petit coquelicot...


 

  Mais, sur le corsage blanc,

Là où battait son coeur,

Y avait trois gouttes de sang

Qui faisaient comme une fleur :

Comme un petit coquelicot, mon âme !

Un tout petit coquelicot.

 


Je Chôme

 

 

 

Parodie de Je Chante de Charles Trenet et Paul Misraki par Marco Valdo M.I.

qui n'a changé qu'un seul mot ... Le génie de Trenet...

 

 

Je chôme !
Je chôme soir et matin,
Je chôme sur mon chemin
Je chôme, je vais de ferme en château
Je chôme pour du pain je chôme pour de l'eau
Je couche
Sur l'herbe tendre des bois
Les mouches
Ne me piquent pas
Je suis heureux, j'ai tout et j'ai rien
Je chôme sur mon chemin
Je suis heureux et libre enfin.

 

Les nymphes
Divinités de la nuit,
Les nymphes
Couchent dans mon lit.
La lune se faufile à pas de loup
Dans le bois, pour danser, pour danser avec nous.
Je sonne
Chez la comtesse à midi :
Personne,
Elle est partie,
Elle n'a laissé qu'un peu de riz pour moi
Me dit un laquais chinois

 

 

Je chôme
Mais la faim qui m'affaiblit
Tourmente
Mon appétit.
Je tombe soudain au creux d'un sentier,
Je défaille en chantant et je meurs à moitié
"Gendarmes,
Qui passez sur le chemin
Gendarmes,
Je tends la main.
Pitié, j'ai faim, je voudrais manger,
Je suis léger... léger..."

 

Au poste,
D'autres moustaches m'ont dit,
Au poste,
"Ah ! mon ami,
C'est vous le chômeur vagabond ?
On va vous enfermer... oui, votre compte est bon."
Ficelle,
Tu m'as sauvé de la vie,
Ficelle,
Sois donc bénie
Car, grâce à toi j'ai rendu l'esprit,
Je me suis pendu cette nuit... et depuis...

 

Je chôme !
Je chôme soir et matin,
Je chôme
Sur les chemins,
Je hante les fermes et les châteaux,
Un fantôme qui chôme, on trouve ça rigolo
Je couche,
Parmi les fleurs des talus,
Les mouches
Ne me piquent plus
Je suis heureux, ça va, j'ai plus faim,
Heureux, et libre enfin !

 

 

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15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 23:36

Mon cher Lucien, aujourd'hui, je vais poursuivre le récit de la visite d'Isnello par Impy. J'espère que depuis hier, tu n'as pas oublié le début. Cette première journée entre les Miss, ces journalistes étazuniens, la grande voiture d'Impy, son arrivée, son retour triomphal dans son village... L'entrée d'Impy à Isnello et celle du Christ à Bruxelles... Enfin, tous ces événements grandioses.

 

 

Mais oui, bien sûr, mon cher Mârco Valdo M.I., dit Lucien l'âne à la mémoire d'éléphant et aux pieds d'âne, je me souviens très bien des Impellitteris, de leur arbre gynécologique... Il a bien fait rire mes amis quand je leur ai raconté, à mon tour, cet épisode. Et tous comptes faits, ce n'est pas si faux...L'arbre de l'homme remonte à travers les femmes... Je me souviens aussi, dit l'âne Lucien en faisant un écart subit et en se retournant violemment pour se mordre sous le ventre du côté gauche (c'est-à-dire du côté gauche de l'âne, donc du côté droit de celui qui regarde l'âne de face ), ce sont encore les taons, les taons sont difficiles, ces temps-ci. Je me souviens, dit l'âne qui a fini de se mordre sous et à l'arrière du ventre, très bien des mouches... et de la place énorme qu'elles occupent dans les cérémonies. C'est bien vu ça. On néglige souvent ces acteurs de la vie quotidienne, tout comme nous. Tu as vu comme on nous a chassés, nous les ânes, qui avons fait la richesse de la Sicile – entre autres. Attends quand ils n'auront plus assez de pétrole...

 




 


A propos de pétrole, dit Mârco Valdo M.I., tu as vu l'espèce de déification ou de sanctification de l'automobile... Actuellement, ce n'est plus tout à fait pareil, mais le caractère sacré reste. C'est une vache à pétrole dans une Inde mécanique en voie de mondialisation. As-tu remarqué cette histoire des Americani ? Ne te rappelle-t-elle rien ?

 

Oui, oui, dit Lucien. Bien sûr qu'elle me rappelle une histoire, une histoire que tu as racontée, avec une chanson... Attends, n'est-ce pas l'histoire du grand-père de ton ami Roland ? Celui-là qui était revenu d'Amérique, après une guerre aussi, riche aussi, et qui a tout gaspillé en un an pour faire du genre dans son village.

 

C'est bien cette histoire-là. Ce phénomène du retour de l'émigrant, devenu émigré, devenu – parfois, pas toujours – immigré est très typique. Mais les émigrés ne sont heureusement pas tous des hâbleurs de cet acabit. Mais dans le cas d'Impy, il faut bien voir qu'il y a une sorte de croisade en cours, celle de la « pax americana »...

 

Oui, dit Lucien l'âne aux yeux noirs comme les mouches, mais ce deuxième jour que va faire Impy, je dis Impy car tout le monde l'appelle ainsi, à Isnello ?

 

Et bien, le barnum continue. Isnello est pour deux jours, un village Potemkine, un village de carton-pâte où le spectacle qui est donné fait appel à toutes les ficelles du métier. En fait, il s'agit d'une séquence de la vaste opération de croisade de confirmation de la civilisation christiano-capitaliste. Je te rappelle qu'on est en 1951, en pleine « guerre froide » et qu'il s'agit d'empêcher l'avènement du communisme, c'est-à-dire d'un monde où les pauvre seraient moins pauvres et les riches moins riches. On est dans une formidable opération de propagande orchestrée par la Démocratie-Chrétienne (avec derrière elle le Vatican). Au fait, il faut bien voir que cette histoire des mouches n'est pas si innocente qu'elle en a l'air. Les mouches en fait, c'est le petit peuple qu'on a chassé, ce sont les animaux qu'ils n'ont pas pu interdire... Car comme tu l'as vu, les autres, on les a chassés. Mais les mouches, c'est la véritable démocratie... Celle qui ne se soucie pas des gens du pouvoir...

 

 

L’apothéose d’Impy

 

La visite d’Impy reprend le lendemain avec la sortie du cortège de la fête séculaire d’Isnello : la « Casazza », une représentation de la Passion ; une sortie exceptionnelle, puisqu’en réalité, même en Sicile, la Passion se fête à Pâques et on est au début de l’automne. On voit donc ainsi que tout est mis en œuvre pour créer un événement, pour attirer l’attention, pour imposer une image. Tout est mis à contribution, on n’hésite même pas à déplacer une cérémonie aussi importante – sur le plan religieux et folklorique – que la Passion. « Tous les paysans en sont les acteurs et ils sont Jésus et Saint Joseph et Marie et Hérode et Pilate et les soldats romains et les Juifs et les apôtres. Celle d'aujourd'hui était la plus extraordinaire de toutes les Casazzes. Cette fois-ci aussi, ils étaient tous acteurs, mais il y avait un protagoniste véritable : après la fuite en Égypte advenue il y a cinquante ans, c'était l'entrée du Christ à Jérusalem . »

 

Tout Isnello est sous le charme du retour de l’enfant du pays, tout Isnello est mobilisé autour de l'Église, comme lieu symbolique du vrai pouvoir, incarnation de la domination éternelle. Carlo Levi raconte à sa manière cette grande cérémonie au cours de laquelle tous, à commencer par les mouches qui se posent sur tout et sur tous sans distinction, viennent faire allégeance au pouvoir religieux – mélange d’intérêts, de croyances, de superstitions et de peurs. « Il était difficile d'entrer à l'église à cause de la grande foule. Il n'y avait pas de quadrupèdes dans la rue, ni ânes, ni chèvres, ni moutons, chassés par le crieur, mais il y avait par contre des mouches, en essaims incalculables, paresseuses et patientes mouches du début de l'automne, triomphatrices glorieuses de tant de batailles et qui entrèrent avec nous dans la belle église du Quinzième, ancienne mosquée, sans doute pour rendre hommage elles aussi au maire et à Dieu en volant par milliers dans l'air empli des notes de l'orgue et en se posant obstinément sur le visage des fidèles, sur les autorités agenouillées, les journalistes américains, les appareils des photographes, les policiers, les motocyclistes casqués et même sur le beau visage prophétique et sur la barbe blanche d'un illustre frère isnellois, Padre Domenico, Général des Capucins, Défenseur du Lien au Tribunal de la Sacra Rota, venu spécialement de Rome. » On remarquera au passage que Carlo Levi rappelle le syncrétisme religieux de la Sicile : l’église, ancienne mosquée. En somme, les religions se suivent, les bâtiments restent. Mais l'Église joue elle aussi sa partie dans la pièce et elle se porte à la hauteur de l’événement, elle soutient et amplifie le mythe. Elle finit par tout récupérer ainsi qu’en témoigne le sermon du prêtre : « Il y a cinquante ans, il entrait ici enfant pour être régénéré dans les eaux baptismales. Qui aurait jamais pensé qu'après cinquante ans, il serait revenu comme maire de la plus grande ville du monde ? Ceci est un miracle de la foi. Que cette foi puisse resplendir au bénéfice de l'Eglise et des Peuples ! » Faire du miracle de la foi le mécanisme central du système électoral newyorkais : on peut difficilement pousser plus loin l’exagération .




 

 

Impy récupéré par l’Eglise, on peut ensuite procéder à sa reconnaissance communale et publique. Cette béatification officielle et publique et pour tout dire, laïque, est évidemment l’occasion de discours et de démonstrations diverses à la commune et dans la maison natale : là aussi, on tire la couverture à soi, on récupère le grand homme. Le pouvoir temporel – essentiellement démocrate chrétien dans cette région d’Italie – revendique sa part du miracle de la foi.

On est en 1951, il s’agit de poursuivre le combat contre le communisme avec les nouveaux alliés et de ce fait, le régime précédent n’est pas vraiment sorti des pensées des dirigeants locaux et même des représentants du Gouvernement. En termes nets, le fascisme et son idéologie restent le fondement des discours officiels. S’adressant à Impy, le représentant du Gouvernement régional ne peut s’empêcher de se référer à l’Impero, à la « culla » (à l’Empire et au berceau mussoliniens) et même, à la race : tous concepts fleurant bon le fascisme le plus pur. Je cite : « Tu as montré, - ajouta-t-il, - ce qu'est le vrai sens de notre Empire et de la domination de notre population, la primauté de sa civilisation. Toi, Sicilien authentique depuis le berceau, Sicilien avec certificat de naissance, tu es un de ces merveilleux colons qui, fendant la mer que tu as aujourd'hui retraversée d'un vol d'aigle, ont fait l'Empire : l'Empire du Travail. Je dois te remercier, cher Vincenzo, au nom de tous, car tous ressentent le triomphe de leur propre race dans ta personne ; et ceci a été possible parce qu’à New York il y a la liberté et il y a l'égalité. »

Aux discours des autorités célébrant les États-Unis d’Amérique et la Sicile, Impy répondit par un apologue propagandiste qui se concluait par : « C'est pourquoi grâce à la démocratie il est toujours possible pour ces garçons qui sont ici d'être demain le maire de Rome ou le chef d'Italie ou le maire de New York comme moi. Voilà la démocratie et la liberté. Je fus baptisé ici et aujourd'hui, je suis le maire de la plus grande ville du monde. Vive la Sicile, vive l'Italie, vive les États-Unis d'Amérique ! » Comme il est coutume de le dire : « No comment ! ».

Après la visite – toujours entouré de la foule et des mouches – à la maison de sa Nativité, après un banquet au couvent, après pareille réception triomphale, l’oncle d’Amérique ne pouvait faire moins que d’offrir un cadeau, de faire des largesses. Et c’est ce qu’il fit. Sans doute, en dessous des espérances, mais quand même. « A ce moment, on annonça que monsieur Impellitteri donnait un demi-million au couvent de sa cousine et un million et demi à la Commune pour construire, selon le conseil du maire d'Isnello, un établissement de douches publiques.

Les dieux, devenus de simples saints tutélaires, devaient quand même bien faire leur devoir de protecteurs et de philanthropes, mais je ne pus m’empêcher d'admirer la divine inutilité du don. Qui prendra jamais une douche dans les douches d'Impy ? Elles seront à coup sûr un intouchable objet d'adoration. » On croirait lire l’histoire de Clochemerle, village du Beaujolais où l’édifice public, posé devant l’entrée de l’église et au centre des événements, n’était autre qu’une double vespasienne. Mais à Clochemerle, l’édicule servit.

 

 

La Nativité d’Impy.

 

Mythe et propagande font bon ménage, toujours et les politiciens, comme les églises, ont besoin de drainer les foules et de s’assurer les bonnes grâces des populations. Il s’agit que le langage du ciel vienne au secours de la domination terrestre et inversement ; il s’agit aussi pour tous les intéressés de servir le mythe et de s’en servir. Servir le mythe, c’est jouer au mieux le rôle qu’on est censé jouer dans la comédie des pouvoirs. Ainsi, le bon Impy, en bon serviteur des pouvoirs qui dominent le monde, tient son rôle à la perfection et plus que certainement, en connaissance de cause et son langage dévoile clairement cette façon de procéder, ce discours paternaliste. Carlo Levi analyse la chose avec un brin d’ironie.

« Je ne sais si monsieur Impellitteri est en anglais un bon orateur ; en sicilien, il fut parfait. Il comprit que ses concitoyens se célébraient eux-mêmes au travers de lui et en quelques mots, il plaça tous les éléments nécessaires à la cristallisation du mythe dans lequel le fils du cordonnier pouvait bien prendre la place du Fils du Charpentier. Il commença en disant qu'il était "allègre" de revenir, comme maire de New York, dans la ville de sa "nativité."

Que ce fût connaissance réduite de l'italien, ou profonde intuition, il dit alors et toujours "nativité" au lieu de "naissance", il accepta ainsi sans s'en apercevoir le monde de la fable et il s'y enfonça définitivement. Il parla de sa "dame", de ses "papa et mama" ; il dit : "Je suis le fils d'un pauvre “chausseur” qui quitta Isnello sans un sou en poche avec six fils mâles et ensuite, une fille féminine est arrivée ; ici ils étaient tous masculins et en Amérique, féminine. »

 

Les dessous italiens.

 

L’apologie du sentiment national sicilien, de l’alliance avec les États-Unis, la mise en avant de l'Église, la présence sur place des représentants de la Démocratie chrétienne et notamment d’une secrétaire d'État sont à mettre en perspective par rapport à la situation en Italie (et dans le monde) à l’époque. Nous sommes dans le début des années cinquante. La question qui doit être posée est : qu’est-ce que cela peut bien signifier qu’un maire de Nuova York vienne faire un tel barnum dans un petit village de Sicile, escorté bien entendu de sa cohorte de journalistes. Du point de vue national italien, la D.C. a été portée au pouvoir sous l’influence et avec l’aide des services spéciaux italiens et américains par la liquidation pure et simple du gouvernement issu de la Résistance, gouvernement dirigé par un homme de grande qualité : Ferruccio Parri. Du point de vue international, on est en pleine guerre froide et il s’agit de tout faire pour discréditer et si possible, détruire tout mouvement anticapitaliste dans les pays sous la coupe des États-Unis. C’est l’époque où les États-Unis sont en plein délire maccarthyste ; les États-Unis subissent un véritable terrorisme libéral d'État, ils vivent à l’heure du soupçon et de la délation. Une répression frappe toute idée, toute pensée, toute opinion dite de gauche. On protège les intérêts du capital au détriment des populations. En somme, aux États-Unis comme en Italie, la chasse à la gauche est ouverte. Ce terrorisme libéral est à nouveau en pleine efflorescence ; à l’heure actuelle, en Italie, mais bien évidemment aux États-Unis qui tentent de l’imposer par tous les moyens, y compris les plus brutaux, au reste du monde. Il faut donc réinsérer l’analyse dans la longue lutte des États-Unis contre le reste de la planète pour imposer leur Imperium. Tel est le contexte politique.

C’est dans cette ambiance-là qu’il faut resituer le texte de Carlo Levi pour en distinguer les ressorts cachés. Par exemple, ce fameux concours des Miss est en quelque sorte une parabole, c’est la transposition mutatis mutandis, du système de la concurrence (pierre angulaire de la mythologie du capital) appliqué au marché des esclaves féminines. C’est la foire agricole, avec son concours de la plus belle génisse. Ces fameuses « Miss » sont des créatures exploitées par le système à des fins médiatiques, elles sont une figuration de la comédie du monde, de l’esprit de compétition et du mercantilisme. Ces dames, qu’on peut comparer à celles qui figureront un peu plus tard dans les magazines masculins et plus tard encore, sur tous les écrans – des grands aux petits, ont le même rôle vis-à-vis des messieurs : ces dames servent à satisfaire certains penchants de voyeurisme. C’est la transposition du harem dans l’univers des médias et de la publicité.

 

Les dessous siciliens.

 

Et le récit touche comme incidemment les dessous de la politique sicilienne : « Moi je me trouvai dans l'automobile de la Commune de Palerme, avec les autorités et d'autres Messieurs siciliens. En roulant à travers les étendues nocturnes des “feudi”, le discours tomba sur la mafia. Le plus important des compagnons de voyage, vice-maire je crois de Palerme, me dit : "Vous y croyez à ces blagues ? La mafia n'existe pas, c'est une légende. Il n'y a pas de mafia ; si elle existait ce serait une belle chose, je serais mafieux moi aussi. » Une fois encore : « No comment ! » ; tout le monde aura bien compris que ce galant homme faisait partie de la famille, de cette mafia dont il dit qu’elle n’existe pas. C’est d’ailleurs une habitude, une sorte de coutume ou de réflexe parmi les membres de « l’honorable société » d’affirmer haut et fort qu’elle n’existe pas et qu’en tous cas, ils n’en font pas partie. C’est souvent le cas pour toutes les sociétés, organisations ou associations clandestines, secrètes ou à tout le moins, discrètes. Chacun de ses membres prétend qu’ « il n’en est pas ». C’est évidemment une mesure de prudence et de protection à la fois pour la personne elle-même, pour l’organisation et pour l’ensemble de ses membres. Et Carlo Levi le sait bien, lui qui fut longtemps – pendant vingt ans – un des dirigeants secrets d’une organisation clandestine de lutte contre le fascisme : Giustizia e Libertà et qui dut subir les interrogatoires de la police secrète de Mussolini, l'OVRA.

Et avant de quitter Isnello, Carlo Levi termine ce récit hagiographique, cette vie de saint en braquant un coup de projecteur sur la véritable situation de la population locale. Isnello, comme la Sicile, est un lieu de misère. Carlo Levi rapporte l’histoire de ce paysan d’Isnello qui s’approche et lui dit « Je voudrais un travail pour me tirer d'ici. N'importe quoi. Je me contenterais de … n'importe quoi, pourvu que je me tire de ces lieux. »

 

Voilà, c'est fini, dit Mârco Valdo M.I., mais je voudrais cependant insister sur un aspect de cette lecture, c'est qu'elle est très lacunaire et que bien entendu, le texte de Levi est plus complexe, plus riche, plus foisonnant et que dès lors, mon ami Lucien, comme je te l'ai déjà dit, il serait mieux de lire l'original. Ou alors, une bonne traduction.

 

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14 août 2008 4 14 /08 /août /2008 23:29
Tchic, tchac, tchoc...


Quoi, quoi, qu'est-ce que c'est ?


Tchic, tchac, tchoc ...

 

Quoi, quoi, qu'est-ce que c'est ?, dit Mârco Valdo M.I. . Qui vient là ? Ah, c'est toi, Lucien... Mais quel est ce bruit ?

 

Ce sont mes pieds, dit Lucien l'âne en contemplant ses quatre pieds, je les traînais pour te faire une farce et ça a marché... C'est le cas de le dire.

 

On peut bien le dire, tu m'as eu. Ce n'est pas que j'étais inquiet, j'étais intrigué...

Tchic, tchac, tchoc... Pour moi, ça n'avait aucun sens particulier. En fait, je ne comprenais pas de quoi il pouvait bien s'agir ...

 

Tchic, tchac, tchoc... Tu as raison, dit Lucien en re-regardant ses pieds d'un air intrigué, comment peuvent-ils bien faire pareil bruit ? Ce n'est pas un bruit de pieds ça, Tchic, tchac, tchoc... Tu vois, j'essaie encore une fois et on passe à autre chose : Tchic, tchac, tchoc...

 

Non, vraiment, tu as raison, ce n'est pas un bruit de pieds, dit Mârco Valdo M.I. . Ou alors avec des pantoufles charentaises usées sur un vieux revêtement ciré au fond d'un couloir sombre d'une ancienne bâtisse et en plus, quelqu'un qui traîne la jambe... Ce ne pouvait en aucun cas être un bruit de pieds d'âne. Mais, restons-en là, si tu veux bien...

 

Oui, je suis d'accord. La plaisanterie a assez duré. Que vas-tu me raconter ? , dit l'âne en frémissant de toute la peau de son ventre.

 

Ce que je vais te raconter, je l'ai déjà raconté bien souvent, car c'est un récit de Carlo Levi que bien entendu, j'ai traduit pour tes pauvres oreilles d'âne, et d'ailleurs, je ne fais que raconter le récit à ma manière et en le commentant un peu. En fait, je fais le même travail que faisaient ces héros de la culture populaire qui faisaient (peut-être en font-ils encore...) de la lecture vivante. Le paradoxe évidemment, c'est que je fais de la lecture vivante écrite. Puisque je te parle par écrit... Enfin, passons. Cependant, es-tu d'accord d'entendre l'histoire de la visite du Maire de Nuova Iork à Isnello en Sicile, où il était né un demi-siècle plus tôt. Si oui, on y va. Mais je te préviens, on en a pour deux jours... Car la visite dure deux jours...Une dernière chose, pour qu'on s'y retrouve, je mettrai en jaune le récit de Carlo Levi – ce sont des citations, longues parfois, mais des citations et disons dans une autre couleur, mon remplissage. J'insiste sur le mot remplissage... De fait, il serait mieux de lire le texte de Carlo Levi « en direct », mais pour l'instant, pour le public, il n'existe qu'en italien, quand on le trouve. Pour ta gouverne, c'est une partie du livre intitulé : Le Parole sono pietre, dont je t'ai déjà parlé par ma chanson léviane sur la mort de Salvatore Carnevale, qui s'intitulait Salvamort.

 

Mais enfin, une histoire comme celle-là et de Carlo Levi en plus, mais j'applaudis des quatre pieds... Vas-y !

 

 




 


 

 

Tout commence dans un avion qui va de Rome à Palerme dans lequel on trouve forcément nos héros – Carlo Levi et il signore Impellitteri, maire de New York, mais aussi les Miss qui s'en vont concourir pour le titre de Miss Europe à Palerme. Et avec Carlo Levi, ça commence fort :

D’une part, il dénonce le côté factice de toute cette comédie des Miss et il y associe étroitement le voyage du maire de New York, Mr Impellitteri, sicilien d’origine, qui voyage dans le même avion. Carlo Levi met au jour tout le tralala que les politiques, les gens du pouvoir et ceux d’argent organisent pour justifier leur importance dans le monde. A quoi peuvent bien rimer en effet ces concours où l’on traite les jeunes femmes comme des génisses d’un concours agricole, si ce n’est à meubler de frivolité le monde de l’apparence et du vide mondain. Carlo Levi ne fait pas partie de ces gens-là et il ne veut pas en faire partie : ni des gens du pouvoir, ni de leur (basse-) cour.

« Du champ d’aviation de Bocca di Falco, nous fûmes tous transportés vers un grand hôtel du début du siècle, mélange de mauresque et de Liberty, où attendaient d'autres photographes, d'autres journalistes, d'autres autorités, d'autres Impellitteris. Le maire fut tout de suite entraîné dans la farandole d'une journée de réceptions officielles … »

 

Mais Carlo Levi ne peut échapper totalement à la comédie absurde du monde ; il lui faut même en rendre compte. Ainsi, il se retrouve dès l’atterrissage coincé dans une réception haute en couleurs et capturé par la famille des Impellitteris et leurs cousins des Fiorentinos, Vaccas, Cannicis… qui l’ont pris pour un proche collaborateur du célèbre Maire. L’humour n’y perd pas ses droits : un des cousins d’Impellitteri s’empresse autour de Carlo Levi pour lui montrer l’ « arbre gynécologique » de leur famille. Face à une proposition aussi extravagante, on comprend aisément que Carlo Levi se soit rapidement éclipsé, en renvoyant à plus tard l’étude de la généalogie des Impellitteris.

 

 

Impy dans son village.

 

« Le premier récit, celui du retour du maire de New York au pays natal, de sa nativité et de son épiphanie, fut publié, immédiatement après l'événement, à l'automne 1951 ». Le récit de l’arrivée d’Impellitteri dans son village commence par une énorme parodie de marche triomphale. Carlo Levi décrit par le menu la venue ou le retour de l’émigré qui a réussi (tout le symbole), du parvenu au sommet des plus hauts buildings du monde sous la forme d’une « entrée » triomphale, à la manière des triomphes des généraux de Rome. Il y a là quelque chose de l’ironie du tableau de James Ensor intitulé « L’entrée du Christ à Bruxelles ». La venue du sieur Impy – appelons-le Impy, comme le faisaient les Americani d’Isnello – maire de la plus grande ville du pays le plus puissant du monde dans son village natal d’Isnello est présentée par les autorités aux paysans du lieu, aux gens du peuple de ce bourg de quelques milliers d’habitants, comme une aventure fabuleuse, comme un événement proprement mythologique. Ce retour de l’enfant prodigue est devenu une fable : « La Fable de la Naissance et de la Fortune. La Fable de l’Amérique. » Et pour que la fable prenne toute sa dimension, rapporte Carlo Levi, tous ont en quelque sorte joué le jeu, à la perfection : « tous se sont comportés de façon parfaite : les paysans, les messieurs, les autorités, les députés et les députées démocrates-chrétiens, les communistes, les prêtres, les parents et jusqu'aux chèvres et aux ânes et aux chiens et jusqu'aux mouches. »

Les mouches, petites personnes insignifiantes, on le remarquera, sont mises sur le même plan (au sens cinématographique, photographique et pictural) que les chiens, les ânes et les autorités. Pour l’œil qui regarde, l’appareil qui photographie ou qui filme, tous ont le même sens sur l’image, tous ont la même importance : ils font partie de la scène. Du point de vue de l’objectif, le monde est un spectacle où tous les acteurs, quel que soit leur rôle ou la façon dont la société les considère, ont la même importance. Peut-on voir plus égalitairement ? Comme on pourra le constater plus loin, les mouches ont une place exceptionnelle à Isnello : elles sont de toutes les cérémonies, même lorsque tous les autres animaux et une grande partie des humains de la commune sont tenus à l’écart. Les mouches vont accompagner et illustrer le voyage d’Impy à Isnello, comme les abeilles accompagnèrent et illustrèrent les voyages de l’Empereur à travers toute l’Europe.

 

America ! America !

 

Il commence et continue ainsi avec un humour ravageur, du moins pour qui veut bien lire avec attention : « Quand l'automobile du maire de New York, une belle Pontiac grise empruntée pour l'occasion, se fut arrêtée à l'entrée du village d'Isnello et que Monsieur Impellitteri et Madame furent descendus dans le brouhaha des applaudissements et de la fanfare municipale et au milieu de la confusion des carabinieri, des motocyclistes de la suite, des journalistes, des photographes, des curieux, des innombrables cousins, petits cousins et parents, des bourgeois, des paysans, des bergers, des femmes et en somme des 4.000 habitants d'Isnello qui l'attendaient, les gamins du pays s’agglutinèrent autour d’elle, s'appelant l'un l'autre à haute voix, se poussant, se heurtant, jouant des coudes pour la toucher. "Touchons la voiture", criaient-ils, s’exhortant les uns les autres, avec la figure sérieuse de ceux qui font quelque chose d’important, "ainsi nous irons en Amérique. L'automobile était à peine arrivée qu’elle était déjà devenue une relique, une chose sainte et miraculeuse qui, rien qu’à la toucher, aurait eu le pouvoir d'assurer à ces enfants, occupés au rite improvisé, le plus vrai des Paradis, le Paradis Américain tant rêvé. La voiture resta là, immobile, pendant toute la journée. Des milliers de mains d'enfants révérencieuses la touchèrent, des milliers d'yeux noirs grands ouverts la regardèrent avec passion et espérance.»

 

 




 


 

 

En somme, le rêve américain, le rêve du paradis américain. Ce rêve d’une accession à la richesse, ce parcours chaotique vers les terres de la réussite qui a déçu tant d’hommes, qui en a détruit tellement, est toujours aussi vivace. L’Amérique misérable des émigrants est sans doute le passage obligé, mais nul doute que le rêveur abordera finalement un jour ces rivages merveilleux que l’on voit au cinéma. America ! America ! Impy est l’incarnation de ce rêve, non seulement l’incarnation symbolique, mais la preuve vivante du miracle. Impy est l’arbre qui dissimule la forêt de tous ceux que ce rêve insensé a écrasés.

Si Carlo Levi est d’une ironie mordante à l’égard des puissants, des autorités, il est d’une grande tendresse à l’égard des gens du petit peuple, des déshérités. On verra que tout son récit n’est pas aussi innocent qu’on peut le croire : il montre à l’Italie comment elle traite les gens du Sud, exactement de la même manière que sont traités à l’époque les populations des colonies. La venue d’Impy, maire de New York, dans son village natal, est encadrée par les personnalités qui viennent se montrer en compagnie  de l’Americano qui a réussi, une sorte de mythe ambulant, une figure emblématique de l’aventure capitaliste – America ! America ! : de l’évêque et sa cour aux inévitables politiciens, toutes les autorités s’empressent de se montrer ; il s’agit d’occuper le terrain.  Il y a là quelque chose d’adulatoire qui rappelle les voyages de Baudouin au Congo belge.

 

Isnello existe.

 

Mais cependant, Carlo Levi ne parle pas que des puissants ; il va voir tout ce qui se passe autour de cet événement, il emmène son lecteur dans le vrai Isnello, celui des paysans pauvres, celui de la misère quotidienne. L’art de Carlo Levi est de mêler dans le récit à la fois la description simple des événements, le commentaire direct ou incident de ces mêmes événements et de donner en même temps en arrière-plan, en contre-champ, en contrepoint, comme en négatif, une vue de la réalité sociale dans laquelle les événements s’inscrivent. Et ce n’est pas un hasard puisque telle était déjà depuis des siècles la technique des peintres qui montraient à l’avant-plan les puissants, les scènes mythiques ou les fables qu’on leur commandait, c’est-à-dire le monde du paraître (au sens strict, exact, profond : l’éternel monde des « m’as-tu vu ? ») et à l’arrière, le monde réel. C’est vrai pour la peinture italienne, c’est vrai pour la peinture allemande, c’est vrai pour la peinture flamande. Carlo Levi n’est pas peintre pour rien. Cette démarche est très perceptible dans sa description du village d’Isnello en dehors des rodomontades officielles. Que dit-il d’Isnello ? On a vu l’entrée du Maire de Nueva York à Isnello ; voici celle de Carlo Levi : « Au fur et à mesure qu'on s'élève, par cette route du circuit des Madonies où les nobles siciliens aiment se tuer dans des courses d'automobiles, la nature prend l'aspect sérieux, noble et désolé de l'Italie intérieure, de l'Italie des paysans… Après Collesano, on s'enfonce dans un défilé de montagne entre les hautes parois des Madonies et on monte jusqu'à un virage où apparaît au loin le village d'Isnello. Un troupeau de brebis encombre la route avec les bergers et les chiens. Une vieille passe en portant un fagot. Sur le voile noir qui lui couvre la tête, sur son dos, sur sa robe, est posée une innombrable foule de mouches qui se font porter, immobiles et tranquilles, par elle. En regardant le village de là, les images familières d'un petit village lucanien me revenaient aux yeux. Isnello y ressemble : quoiqu’il soit plus grand, moins pauvre, plus propre. C'est un village de bergers, de paysans, de minuscules propriétaires d'une terre divisée en fractions microscopiques, d'artisans dont l'art est désormais contraint à la décadence, mais qui se rappellent les âges d'or où on faisait de splendides dentelles, on fondait des cloches, on tannait les peaux et on soufflait le verre. Encore aujourd'hui les trois parties du village se nomment Verrerie, Fonderie et Tannerie. »

Comme on le voit, avec Carlo Levi, on surmonte l’événementiel, l’anecdotique, le ponctuel pour atteindre à l’essentiel, à la mise en perspective historique et sociale. Et il conclut : « Ce village (comme tous les autres) n'a eu jusqu'à présent d'autre histoire que préhistorique. Le temps y est passé sans autres événements que le changement des seigneurs féodaux, Sarrasins, Aragonais, Bourbons, Princes de Santa Colomba et Comtes d'Isnello… »

 

Les journalistes américains.

 

Puis le retour à l’actualité : les journalistes américains, plus précisément, étasuniens, qui ont débarqué à Isnello comme en pays conquis avec la même suffisance, le même sans-gêne, la même arrogance, la même brutalité, la même inconscience que partout. Les journalistes américains (sauf exceptions, et heureusement il y en a – parfois) se comportent toujours comme s’ils participaient d’une race supérieure, d’un monde – et pour eux, cela va de soi - dont on ne met pas en cause l’importance et la primauté ; ils ne pourraient imaginer qu’on puisse penser autrement : à leurs yeux, la chose n’est même pas pensable. Et le simple fait de supposer que cette primauté des États-Unis n’est pas aussi absolue qu’ils l’imaginent et qu’ils l’expriment en écrasant les autres, est considéré comme une marque d’hostilité. En fait, pour eux, pour ces reporters étasuniens, Isnello n’existe pas vraiment, ou en tout cas n’a aucune importance, car ce qui compte c’est de parler du Maire Impy, de raconter une histoire aux lecteurs-électeurs newyorkais. Ce n’est sans aucun doute pas la conception que peut avoir le journaliste-écrivain Carlo Levi de sa profession. Il est piquant de noter que ce récit du retour d’Impy au pays natal, pays «de sa nativité et de son épiphanie » fut publié, traduit en anglais, dans la revue étasunienne « The Reporter ». Il dut plaire au Maire de New York qui remercia l’éditeur et même en fit commander une centaine d’exemplaires qu’il distribua à ses amis.

 

Impy loge à Palerme

 

A la fin de sa journée de visite, Impy rentre à Palerme, car il n’y a pas à Isnello de lieu capable de l’accueillir, lui et sa suite. Comme il se doit, Carlo Levi suit le mouvement et il retrouve tout ce beau monde dans le grand hôtel à l’architecture mauresque de Palerme, où se déroule le concours de Miss Europe. « Dans le jardin de l'hôtel maure, à la lumière des projecteurs, défilaient à moitié nues, comme des grenouilles roses, devant le maire de New York, les sept pauvres Miss, sous les yeux affamés et voraces de la noblesse palermitaine » : Splendeurs et Misères des Miss, les deux faces du spectacle. On peut voir toute l’estime que l’homme Carlo Levi portait à ce genre de concours de Miss, combien il appréciait la façon dont ces jeunes femmes étaient et sont toujours traitées et combien il appréciait les imaginations lubriques de la classe dominante. On sent bien que cette critique ne vise pas seulement la « noblesse palermitaine », dont on connaît depuis le Guépard l’état de déliquescence. On devine que la dénonciation léviane a une portée plus générale et vise pareils gens et pareils événements partout dans le monde, partout dans le temps. Carlo Levi est à sa manière un moraliste. On remarquera l’art et le talent de cet écrivain qui en une phrase dresse un tel tableau, raconte toute une histoire, recrée toute une scène et fait surgir une autre conception du monde.

 

 

 

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13 août 2008 3 13 /08 /août /2008 20:57

Salut ô Mârco Valdo M.I., les ânes qui vont rire te saluent !


Quoi, que dis-tu ?, mon pauvre Lucien, j'espère qu'on ne t'a pas entendu... Tu viens d'insulter l'Empereur, tu viens de te moquer de César, c'est une cause de châtiment : au moins, une pendaison sévère.

 


 


Allons, allons, Mârco Valdo M.I., n'exagère pas ! Ce n'est pas concevable une pareille réaction à une plaisanterie et en privé encore...


Je ne crois pas que ce soit ainsi, mon pauvre Lucien. Du temps de César, hop, tu y passais, aux lions, aux ours ...



Les ours se suivent et ne se ressemblent pas; il y a de bons ours, de mauvais ours; d'ailleurs, dit Lucien en rentrant le menton entre les pattes avant tellement il est pris de fou rire, j'y pense subitement, tu as le bonzour d'Alfred.


Tu ris, tu ris, mais tu ne riras pas toujours, dit Mârco Valdo M.I.. Donc, tu aurais fini aux lions, aux ours ou pire encore, aux chrétiens ou dans l'eau, aux crocodiles ou aux murènes...


Je lui aurais dit : Tu es la murène de mon cœur... Elle aurait craqué, dit Lucien en sautillant de joie...


Je me demande, mon bon ami Lucien, dit Mârco Valdo M.I. d'un ton faussement sévère, je me demande si par hasard, tu n'aurais pas mangé de l'herbe qui rend sot. Tu devrais te méfier de ce qui pousse le long des fossés... Les marguerites et le chiendent, ça c'est bon pour l'âne; les orties vont bien aussi, mais, je t'en prie, plus de coquelicots, plus de cannabis; ça finira mal.


Décidément, tu y vas fort aujourd'hui..., dit l'âne en tressautant encore.


Bon, Lucien, mon ami l'âne aux yeux de la couleur du diamant de l'Afrique australe, laisse-moi te donner un exemple. Imagine un instant, et arrête de te gondoler, on n'est pas à Venise, que tu sois convié à une cérémonie où va prendre la parole un grand chef d'État.


Oui, dit Lucien, juste pour te faire plaisir, j'imagine et alors ?


Un grand chef d'État comme, je vais en choisir un dans le passé pour ne pas avoir d'ennuis, mais tu actualiseras bien. Un grand chef de gouvernement en Italie (oui, à Rome; non, pas au Vatican), mettons le plus grand de tous (je parle dans le passé...), celui qui élevait le menton au pinacle de la pensée – tout dans la mâchoire, rien sur le crâne - , donc, celui-là va prononcer un discours disons à la gloire de sa politique, de l'Impero ou à sa propre gloire et tu cries «  Ave Caesar ! Ceux qui vont rire te saluent ! ». C'est le Tribunal Spécial dans les vingt-quatre heures et la pendaison sévère s'ensuivra ! Tu actualises ?


Bon, bon, mais je n'allusais pas à un grand chef de gouvernement, même pas à celui de l'Italie actuelle. Je voulais simplement signifier que j'avais appris – par une indiscrétion, que tu allais me raconter l'histoire d'un personnage comique, enfin, je veux dire, célèbre par sa drôlerie... D'où, mon « les ânes qui vont rire te saluent », voilà tout .


D'accord, aux ânes bien nés la valeur n'attend pas le nombre des ânées... Je te laisse le bénéfice du doute..., dit Mârco Valdo M.I.. D'autant plus que tu as raison, je vais te parler d'un tel personnage et pour plusieurs raisons : la première, c'est qu'il en vaut la peine; la deuxième, est que j'en avais l'intention depuis longtemps; la troisième, c'est qu'il convient aussi de varier les récits.


Tu vois, dit l'âne en se rengorgeant et en frottant le sol de contentement avec son pied droit, il ne fallait pas t'emballer comme çà et évoquer les mânes de Caesar pour finir par dire que tous comptes faits, j'avais raison...


Non, non, je voulais seulement te mettre en garde contre les évolutions curieuses de notre temps, contre certaine manie qu'il y a dans l'air de voir des terroristes partout et comme tu sais que quiconque critique Caesar (ou sa femme, fût-elle un homme) est ipso facto versé dans la catégorie des opposants et de ce fait (traduction d'ipso facto, mais on évite ainsi la répétition), on le glisse subrepticement dans celle des terroristes ou à tout le moins, des suspects et de toute façon, l'étape suivante fait du suspect un terroriste en puissance... de là, à l'enfermer, préventivement, le pas est vite franchi. Dans ces cas-là, on ne s'embarrasse pas de subtilités. D'ailleurs, les aventures de notre héros du jour démontrent tout à fait la pertinence de ce point de vue.


Je veux bien te croire, dit l'âne aux pieds de braise sud-africaine, mais tu ne m'as toujours pas dit de qui il s'agissait. Je ne pourrais donc rien en dire...


Ah, ah, fait Mârco Valdo M.I. en singeant l'âne qui singeait Bosse-de-Nage qui ne savait dire en français que ha, ha!, mais c'est tout simplement de notre ami Chveik dont il s'agit. Tu sais bien Chveik, celui qui faillit être condamné à mort sévèrement car il y avait des mouches qui avaient chié sur le portrait de l'Empereur dans la taverne où il buvait sa bière, ce soldat dont l'antienne était « Oui, mon Lieutenant ! ». Le plus parfait des crétins qu'une armée ait jamais engagé et pourtant, Chveik est un des héros les plus subtils et des plus utiles de l'histoire de l'humanité. En fait, si face aux pouvoirs, les hommes appliquaient la méthode Chveik, aucune autorité n'y résisterait. En cela, Chveik (en fait, son créateur Iaroslav Haçek) est un génie. Un génie et un génie par le rire. Mais aussi bien, les sbires de l'Empire n'avaient pas vraiment tort de le soupçonner d'être un monumental danger terroriste; Chveik est en quelque sorte le terroriste malgré lui.

 


 


Oh, oh, fit l'âne pour changer. Voilà qui est bougrement intéressant. De ce que je comprends, de ce que je soupçonne (car nous sommes à l'ère du soupçon), Chveik serait une sorte de bombe à comique...


Alors pour faire connaître Chveik , déserteur malgré lui – à force de foncer sur l'ennemi, il quitte le champ de bataille – et surtout pour chanter ses louanges, j'ai écrit un poème qui est aussi bien une chanson. Moi, je la chante sur un air d'un autre Cacanien intitulé : « Ah, vous dirais-je , Maman... », le dénommé Wolfgang Amadeus Mozart, qui aurait bien aimé Chveik. Et d'ailleurs, je m'en vais te le fredonner...





La chanson de Chveik le soldat

Chanson française très respectueuse de l'honneur militaire. 13 août 2008 – À la gloire de Jaroslav Hasek et de l'immortel soldat Chveik et son lieutenant Lucas.

A priori sur l'air d'un autre Cacanien intitulé : « Ah, vous dirais-je , Maman... », le dénommé Wolfgang Amadeus Mozart, qui aurait bien aimé Chveik.




Ordonnance de mon lieutenant

Je suis très obéissant

Je me lève en chantant

Bien avant mon lieutenant


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat



Je fais la barbe au lieutenant

Chaque jour au campement

Je lui tends sa brosse à dents

Chaque matin à mon lieutenant


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat



Je prépare ses sous-vêtements

Pour équiper mon lieutenant

Je repasse l'uniforme blanc

Pour habiller mon lieutenant


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat



J'ai le sens de l'honneur

Je ne connais pas la peur

Je salue les couleurs

J'embrasse le portrait de l'empereur


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat


Sur les ordres du commandant

A la bataille, mon lieutenant

Me dit Chveik en avant

J' obtempère au lieutenant


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat


À la bataille, sur le champ

On doit foncer en avant

Je me dis Chveik c'est le moment

Je m'élance en hurlant


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat


Pour obéir à mon lieutenant,

Je suis parti en avant.

En mémoire de mon lieutenant,

J'ai continué en avant.


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat


Le lieutenant n'est pas parti

Il était déjà mort, pardi

Le lieutenant n'a pas suivi

Il était déjà tout raidi


Si vous ne me connaissez pas

Je suis Chveik le soldat


J'ai poussé de grands cris

J'ai couru sus à l'ennemi

Je suis arrivé ainsi

À travers les lignes ennemies


Surtout, ne me reconnaissez pas

Je suis Chveik le soldat


J'ai jeté mon fusil

J'ai jeté mes habits

J'ai quitté la Cacanie

Et je recommence ma vie


Mais surtout, oubliez-moi,

J'étais Chveik le soldat.











 

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12 août 2008 2 12 /08 /août /2008 23:27

Et si on reparlait de Marco Camenisch, ça fait un petit temps qu'on l'a abandonné dans sa nouvelle prison de Novara... Qu'en penses-tu, Lucien mon ami l'âne aux pieds d'Hermès et aux dents d'albâtre (mais non pas , d'Al Babator...), dit Mârco Valdo M.I...

 

Ce n'est pas là une mauvaise idée, dit l'âne en secouant la tête en signe confirmatif. C'est vrai, on finissait par le perdre un peu de vue et il importe qu'il soit là souvent, car je crois bien que son histoire est longue et de plus, je la crois fort intéressante. Bien sûr, on peut toujours passer son temps à regarder des gens nager en petite culotte ou des demoiselles s'envoyer en l'air au bout d'un bâton... Il paraît qu'il y en a que ça amuse... Drôles d'humains ne trouves-tu pas, Mârco Valdo M.I. ?

 

Oui, sans doute, mais ils sont nombreux, tu sais... Et vous les ânes, vous ne vous intéressez pas à ces somptuosités olympiques, vous ne trouvez pas ça passionnant..., demande Mârco Valdo M.I..

 

Bof, non ! Mais il est vrai que nous nous sommes des ânes, ne l'oublie pas !, dit l'âne en levant la tête pour tendre son cou et pousser un immense braiment.... HIIIIIHAAANNNN

  

Du calme, du calme, tu vas déranger les passionnés de petites culottes natatoires et les voyeurs de demoiselles sauteuses, dit Mârco Valdo M.I. en riant aux éclats. Bon, j'en reviens à mon histoire d'Achtung Banditen ! Tu te souviens, enfin, peut-être, que nous avions laissé Marco Camenisch à la prison de Novara au début de juin 1993. Il y a à peu près quinze ans jour pour jour. Je te signale à ce propos qu'il y est toujours en prison et qu'il conviendrait quand même qu'on le libère...

 

Oh, oui, dit l'âne aux yeux noirs comme le diamant de la plus profonde des mines d'Afrique australe. Je pense bien qu'il serait plus que temps de le libérer... Nous les ânes, on ne ferait jamais un tel destin à un d'entre nous. Vous êtes bizarres les humains. Je trouvais déjà étrange votre manie de mettre les animaux en cage, de les enfermer dans des soi-disant parcs ou jardins zoologiques qui ne sont rien d'autres que des prisons... Mais voilà que vous le faites aussi avec d'autres humains... C'est proprement renversant. J'essaie de comprendre jusqu'où la cruauté envers des êtres vivants peut aller. Si je me souviens bien la dernière fois, ils avaient torturé le prisonnier Salvatore Cirincione... Que va-t-il se passer maintenant ?


 


 

Et bien, dit Mârco Valdo M.I., je vais te faire connaître une nouvelle fois un de ces récits un peu enchevêtré, une sorte d'enchâssement de discours, que je vais scinder pour toi, de sorte que tu voies bien qui parle et de quoi il cause et qui il est, le causeur. Je vais donc intervenir un peu plus qu'à l'habitude dans le récit.

 

Mais, dit l'âne aux muscles d'airain en tournant brusquement la tête pour mordre dans sa cuisse gauche, ce sont les taons, le temps est lourd, les temps sont difficiles. Mais, mon ami Mârco Valdo M.I., j'aime bien t'entendre toi et tes explications, elles-mêmes assez alambiquées, ça me change des actualités. Et puis, j'apprends plein de mots nouveaux, je me forme en quelque sorte... C'est très bien vu chez les humains de se former...

 

Bon, me voilà rassuré. Je commence. Le premier qui cause ici, c'est Marco Camenisch, qui arrive dans une prison où il y a des prisonniers politiques et qui d'ailleurs, se revendiquent comme tels. C'est important de faire la distinction. D'ailleurs, même les nazis l'avaient faite cette distinction entre les différentes sortes de prisonniers. Leur classification était assez élaborée, elle avait ce parfum particulier de la précision germaniquement méticuleuse. Elle distinguait : des prisonniers politiques – en fait, ceux qui n'étaient pas d'accord avec leur régime : petit triangle rouge...

 

Ah, dit subitement Lucien l'âne en levant la queue en signe de triomphe, c'est ça le petit triangle rouge que tu portes sur tes vêtements...

 

Oui, dit Mârco Valdo M.I., c'est le petit triangle rouge des prisonniers politiques... Je le porte pour diverses raisons que voici : la première, c'est que mon père est mort des suites des sévices qu'on lui a infligés car il était prisonnier politique; c'était lui aussi, un de ces « Achtung Banditen ! », un terroriste, comme on dit maintenant des opposants au régime impérial. C'est donc « in memoriam ». Je le porte aussi pour rappeler que derrière les barreaux, il y a aujourd'hui encore des tas de prisonniers politiques, dont certains meurent des sévices ou vont mourir des sévices infligés par le régime. Je dis le régime pour simplifier, mais il y en a plusieurs sortes, mais en finale, c'est toujours la même chose, ça revient toujours au même. Il y a une autre raison, plus subtile sans doute, mais terrible. C'est que je me ressens moi-même comme un prisonnier politique dans ce système. Mais de cela, nous parlerons plus tard. Revenons à la classification nazie : donc, triangle rouge, les prisonniers politiques, triangle vert les droits communs, jaunes, les Juifs, roses les homosexuels, mauves ou violets, les gitans, Roms... Tiens, à ce propos, certains pays recommencent les persécutions contre les Roms et les étrangers... Donc, voici ce que raconte Marco Camenisch :

Novara, 3 juin 1993.

 

J’ai été bien accueilli par les camarades et c’est une notable bouffée d’oxygène de pouvoir parler et vivre avec eux. Evidemment, on a un paquet de choses et de désirs en commun ; puis, ils sont tellement sélectionnés que je rencontre le meilleur de l’humanité tenue en prison depuis les temps de la guérilla diffuse. Personne ne pourra ensuite rencontrer de grandes désillusions car du point de vue des incompatibilités, il y a une grande clarté dès le départ.

Ici, il y a quatre sections. Je suis dans celle où il y en a quatre d’entre eux et peut-être, avec le temps, j’irai dans la section où se trouvent presque tous les camarades. On sent un peu de tirage entre eux en raison de disputes diverses, mais je saurai, avec le temps, je comprendrai et je m’y ferai, en étant même « favorisé » comme « outsider » idéologique.

 

 

  Tu auras remarqué que Marco Camenisch rencontre en prison des "politiques" d'autres opinions que lui; il s'agit essentiellement des militants politiques de gauche que l'Italie enfermait suite à la révolution manquée et à la terrible répression qui s'en est suivie et qui dure encore. Marco Camenisch comme tu le comprends, ne fait partie d'aucun de ces mouvements, comme tu le sais, mon bon ami l'âne Lucien, Marco Camenisch est selon les cas, écologiste radical ou anarchiste... 

Cela dit, le second qui intervient est sans doute Piero Tognoli qui comme tu le sais, aide Marco Camenisch de diverses manières et de ce fait est donc, un suspect de première ligne pour les sbires du régime. On va donc aller voir chez lui ce qui se passe. Chercher des preuves, de quoi ?, nul ne le sait, même pas les perquisitionneurs. Voici le reportage en direct de la descente de ces jeunes gens...

 

 

Le 15 juin est un jour normal comme tant d’autres.

Je pensais jusqu’à 13 h 40. Je sors cinq minutes, le temps de déposer papier et verres dans les bulles appropriées et de retraverser la cour en terre battue, en passant par l’entrée secondaire. Je les trouve dans l’escalier qui mène à mon humble maisonnette à balustrade.

Ils n’ont pas besoin d’être invités et moins encore de présentations. Ils sont tous les sept en uniforme. On se regarde silencieusement pendant quelques secondes.

Ce n’est pas la première perquisition que je subis, mais tant de carabiniers chez moi, je n’en avais jamais eus. Mon habitation est si petite et eux si nombreux qu’une paire doit rester sur la terrasse, à farfouiller les caissettes de bois. Porte et fenêtres sont grand ouvertes et je vois mes voisins qui lorgnent derrière leurs tentures à demi-closes.

Le mandat est signé par le parquet de Massa et il se réfère aux enquêtes relatives aux « nombreux épisodes d’attentats à l’explosif aux structures portantes et aux lignes électriques de l’ENEL, de la fin du printemps 1990 à aujourd’hui ». Ils séquestrent deux timbres, une fronde, deux tracts déjà archivés et un article inédit en solidarité avec Marco. Puis, ils cessent leur harcèlement.

Heureusement que j’ai tapé l’article en double, que le propriétaire de la maison est un type tranquille qui s’occupe de ses affaires et que je suis très bien apprécié de mes voisins. Il reste une mise en scène d’intimidation devant tout l’immeuble. Mitraillette à la main et garde armée à l’entrée principale dès 7 heures du matin.

Le même jour, à Carrare, rue S.Piero, ils ont envahi et perquisitionné l’imprimerie et les maisons adjacentes. Le 20 mai à Lunigiana, ils ont perquisitionné la maison d’Ubaldo et de Manuela.

Le ratissage continue. La solidarité avec Marco tout autant.

 

Tu remarqueras que le simple fait de côtoyer Marco Camenisch ressemble furieusement à un délit et justifie des exactions étatiques et justiciaires. C'est que va arriver à bien des gens qui ont seulement eu l'audace de faire connaître leur désaccord avec les méthodes barbares. Tu te souviens de la classification du libéralisme : quand tout va bien et que tu manges la soupe avec le sourire, c'est le libéralisme doux; à partir du moment où tu fais la grimace et que tu critiques le brouet insipide qu'on te sert chaque jour, on passe insensiblement au libéralisme sec et bien entendu, si tu insistes et que tu fais la mauvaise tête et l'esprit critique, on en vient au libéralisme brut. Bref, pour mieux me faire comprendre des ânes, je dis que si tu n'avales pas la carotte avec le sourire, on t'enfonce le bâton ou on te l'abat sur la tête jusqu'à ce que.... A ce moment, le régime est tellement dur, on est dans le libéralisme aigu, il y en a diverses sortes aussi, regroupées sous le nom générique de fascisme.

Le troisième récit est celui d'une visite à Marco Camenisch par sa maman et son frère Renato qui arrive de Suisse via Milan, où l'attend Piero Tognoli, puis trajet jusque Novara et la prison. D'un côté, la famille qui peut visiter le prisonnier; de l'autre, l'accompagnant qui attend à l'Oasis Verte.

 


 



 


 


Notre voyage s’allonge, mais nous y sommes encore cette fois. Un bref passage sur la ligne Milan – Turin, un autobus depuis la gare et nous y voilà. Nous entrons décidés comme les trois mousquetaires dans le minuscule hall.

Le gardien-bureaucrate de la réception a une face qui appelle les gifles rien qu’à la regarder. Un de ces maniaques qui contrôlent même les poils dans les œufs. Il ne comprend pas tout de suite qu’Annaberta et Renato viennent de la République helvétique. Ils ne peuvent donc pas avoir une carte d’identité italienne. Il s’éternise. Ensuite, il voudrait aussi mes papiers, mais moi, pourtant, je ne suis qu’un simple accompagnant. Je les laisse sur le seuil du cylindre qui sert de détecteur de métal pour les personnes et les paquets de vivres et je commence mon attente.

Un jardinet public avec quatre arbres et deux bancs est encaissé entre la prison e un quartier périphérique de maisons populaires, une petite ville et les habituelles autos stationnées de chaque côté de la rue. Je découvre l’Oasis Verte, une pizzeria à deux pas, et la ville qui se tarit au sud en se confondant avec les prés et les champs.


 



Je reviens au banc et je feuillette Hrabal, qui avec sa Prague magique me tient agréablement compagnie. Il est triste d’abandonner par moments sa lecture et de capter une image de fermières occupées à battre leurs tapis aux balcons. Il est douloureux de toucher du regard l’indifférence de ceux qui vivent ainsi tranquillement au contact étroit de ce lieu de souffrance.

 

Et finalement (pour aujourd'hui), le récit reprend avec quelques réflexions de Marco Camenisch sur les relations entre prisonniers et face au système et à ses sbires. Ceux que Marco Camenisch au nom de tous les prisonniers du monde appelle « l'ennemi commun ».

 

Novara, 26 juin 1993.

 

On ne peut pas en prison se permettre les mêmes niveaux d’intrigues idéologiques ou de controverses futiles si chères souvent aux milieux politiques de l’extérieur. Comme prisonniers de gauche, de droite ou simplement communs, nous sommes tous sur la même barque de l’anéantissement systématique. Même si on n’est pas intéressé à lutter contre un ennemi commun en compagnie de quelqu’un qui nous est incompatible et ennemi, dans une telle situation extrême, on ne peut exclure des rapports solidaires et cordiaux.

En prison, un « brave gars », un « ami » est celui qui ne trahit pas et qui ne collabore pas avec l’institution, qui est réellement solidaire et bien éduqué avec son camarade de détention, qui, en un certain sens, est une peine de mort diluée dans des temps fort longs. Totalement à la merci de l’ennemi commun.

...

A San Vittore, deux « simulateurs » sont morts de problèmes cardiaques... Un à l’intérieur et l’autre dans le fourgon cellulaire durant son transfert à Reggio di Calabria, avec l’assentiment des « médecins ».

A moi, ils me le font payer par de petites provocations quotidiennes. Par exemple, le directeur ne m’a pas donné les deux heures supplémentaires de parloir, qu’on concède à tous et qu’on retire périodiquement pour des raisons disciplinaires. « On n’est pas dans les conditions », m’a-t-on répondu. Administration normale. Les comptes se règlent.

 

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