Aujourd'hui, c'est le comble, le jour est tombé tellement tôt que j'ai à peine eu le temps de le voir. On est dimanche, alors, c'est normal, on se lève plus tard qu'à l'ordinaire, on fait une petite sieste et hop, voilà, c'est la nuit noire. Mais où est donc cet homme bâté de Mârco Valdo M.I.. Il me fait encore attendre, sans doute est-il encore dans sa sieste ou batifole-t-il encore ? Et moi qui ai hâte de rentrer...
Tiens, mais tu es déjà là, mon bon Lucien, dit Mârco Valdo M.I.. Si j'avais su, j'aurais pressé le pas. Mais je suis venu sans trop courir, car on est dimanche et que, vois-tu, le dimanche, on se lève un peu plus tard qu'à l'ordinaire, on fait un bon repas, on trinque un peu, puis, normal, on fait une sieste, parfois courte, parfois plus longue, et comme c'est le solstice d'hiver, hop, la nuit tombe en même temps que le jour et voilà, on se réveille dans la nuit noire en plein après-midi. On ne sait plus où on en est ... Enfin, y a pas de mal, je suis arrivé.
Oui, je le vois, malgré cette nuit d'encre, dit Lucien l'âne en écarquillant ses yeux d'encre comme la nuit. Il faut dire aussi que la journée a été courte, non seulement le jour s'est couché bien tôt, mais il s'était levé bien tard. Bref, une journée d'à peine huit heures. C'est bien court.
Bon, laissons cela, il n'y a pas beaucoup plus à en dire et puis, dit Mârco Valdo M.I., on a peut-être, l'une ou l'autre chanson à découvrir. Je te dis ça, car tu aurais pu croire que nos amis de la Chanson du dimanche allaient se remettre à la tâche et nous proposer l'une ou l'autre composition nouvelle pour meubler les dimanches, où – sans cela – comme les enfants et les parents dans la chanson de Trenet, tu pourrais t'ennuyer. Allez, je vois à tes oreilles en points d'interrogation que tu ne la connais pas cette chanson-là. Je t'en offre un bout pour commencer. Comme ça, de mémoire :
Les enfants s'ennuient le dimanche.
Le dimanche, les enfants s'ennuient.
En knickerbockers ou en robes blanches,
Le dimanche, les enfants s'ennuient.
Vienne vienne
La semaine,
Lundi mardi jeudi,
Car la rue est toujours pleine
De lumière et de bruit !
...
Les parents s'ennuient le dimanche.
Le dimanche, les parents s'ennuient.
Avec leurs lorgnons et leurs barbes blanches,
Le dimanche, les parents s'ennuient.
Vienne vienne
La semaine,
Lundi mardi jeudi,
Car la rue est toujours pleine
De lumière et de bruit !
Je vois à ton air et au frétillement courbé de tes oreilles que tu te demandes ce que peuvent être des knickerbockers. En fait, ce sont des pantalons comme ceux de Tintin, qui s'arrêtent à mi-mollets.
Moi, dit Lucien, je te remercie, mon cher Mârco Valdo M.I., mais je ne sais plus où j'en suis. Que voulais-tu dire avec la chanson du dimanche ?
Ah, oui ! Et bien, ceci précisément. Qu'ils nous ont abandonnés à l'été et depuis plus grand chose, je veux dire le dimanche. Bien sûr, ils font des concerts ici et là. Mais, rien le dimanche. Singulier quand on s'appelle la chanson du dimanche. Mais je te dis tout cela car nous, on est un peu tenu de proposer des canzones du dimanche. Je veux dire que je suis tenu de t'en proposer.
Ah oui, dit Lucien, mon cher Mârco Valdo M.I., que serait un dimanche sans chanson. Ce serait comme une église sans messe, une pin-up sans fesses... si tu vois ce que je veux dire.
Pour la pin-up, j'imagine mal, mais je comprends ton angoisse. Alors, mon cher et bien aimé Lucien, je t'ai concocté un petit intermède de canzones. Tu m'en diras des nouvelles...
Je t'écoute, dit Lucien. Mais si tu veux bien fais-moi d'abord une petite présentation que je sache à quoi m'attendre.
Bien sûr, volontiers, mon cher Lucien, d'autant qu'elles sont toutes fraîches dans ma tête, ce sont des canzones que j'ai traduites pas plus tard que cette semaine et de plus que la première est une canzone de notre ami Riccardo Venturi. Elle raconte l'invention de la guerre au terrorisme; elle dit en quelques mots, comment et pourquoi, ils voient des terroristes partout. Comme tu le sais, le terroriste est apparu assez récemment dans l'histoire; c'est une marionnette de fabrication contemporaine. Par exemple, juste pour situer l'affaire, on a toujours tué des rois et un tueur de roi – prenons Ravaillac, on l'appelait un régicide. Il y a toujours eu des gens qui se battaient contre les occupants de leur pays, de leur région... Les occupants les ont toujours discrédités. Souviens-toi de la guerre de libération des Grecs contre l'empire ottoman ou des innombrables luttes de Polonais pour leur indépendance... Enfin, tout ça pour dire que les faits ne sont pas nouveau; ce qui est nouveau, c'est l'invention de la guerre mondiale au terrorisme. Comme bien tu penses, c'est là un épisode de la fameuse guerre de cent mille ans que mènent les riches et les puissants contre les pauvres et les désarmés.
D'accord. Je suis assez d'accord avec toi. Enfin, j'en saurai sans doute plus avec la chanson de Riccardo Venturi. Mais dis-moi, Mârco Valdo M.I., quelles sont les autres chansons que tu vas me présenter ?
La deuxième est une chanson du groupe Gang qui fait le point sur l'histoire des soixante dernières années; en somme de la période qui va de l'effondrement du Reich nazi et de l'Impero fasciste à nos jours. Elle se présente sous la forme de l'histoire d'une rue qui s'appelle la rue d'Italie et elle décrit ce qui s'y passe. Et la troisième canzone de ce dimanche, quant à elle est une canzone que d'aucuns estiment être « la » canzone de Fabrizio De André, c'est une sorte de prière... Mais je te laisse découvrir, les canzones et le commentaire que j'ai fait...
Allons-y, alors. Je suis impatient de les découvrir, dit Lucien en pointant cette fois ses oreilles vers le noir du ciel d'hiver.
LES TROIS PUISSANTS
Version française – Les trois puissants – Marco Valdo M.I. – 2008
Chanson italienne – I tre potenti – Riccardo Venturi – 2008
La version italienne est à chanter sur l'air de la chanson populaire pistoiaise “Le Tre sorelle” (Les trois sœurs), telle qu'elle est exécutée par Riccardo Tesi et la Banditaliana.
L'aviation contemporaine, les fusées, les rockets, les bombes volantes... sont des choses merveilleuses : vues de loin et sur écran, les chorégraphies aériennes et leurs explosions multicolores ont des allures de ballets et des gracieusetés de jeunes premières. Évidemment, la vision n'est pas exactement la même quand on est au sol, dans le décor de la pièce guerrière où elles s'agitent. Là (mettons en Afghanistan ou au Kurdistan, ou encore, en Irak...), c'est l'effroi qui domine l'âme du spectateur, acteur malgré lui de son propre massacre. Vues du terrain, l'aviation contemporaine, les fusées, les rockets, les bombes volantes... sont des choses épouvantables atroces, féroces et d'une implacable injustice. Leurs arabesques célestes sont des signes certains de la mort et de la désolation. Mais, rassurez-vous, l'aviation contemporaine, les fusées, les rockets, les bombes volantes... ne tuent que des terroristes, ne tuent que des terroristes... Puisqu'on vous le dit dans tous les journaux, dans toutes les radios, sur toutes les télévisions...
Entendez-vous dans le lointain l'aviation contemporaine, les fusées, les rockets, les bombes volantes...
Sans doute, n'y croyez-vous pas... qu'elles ne tuent que des terroristes.
Si vous n'y croyez pas, c'est que vous êtes un agent du terrorisme,
c'est-à-dire potentiellement,
un terroriste vous-même.
VOUS ÊTES UN TERROSITE !
On devrait vous arrêter.
D'ailleurs, ça ne saurait tarder.
J'entends déjà les pas dans le couloir... On frappe à votre porte...
Ainsi parlait Marco Valdo M.I.
Il y avait trois puissants
et tous trois d'amour.
Il y avait trois puissants
et tous trois d'amour.
Le plus puissant de ceux-ci
se mit à bombarder.
Le plus puissant de ceux-ci
se mit à bombarder.
Et tandis qu'il bombardait
Il appela les deux autres
Et tandis qu'il bombardait
Il appela les deux autres
Mes chers compères,
Venez bombarder.
Mes chers compères,
Venez bombarder.
Et si nous bombardons
Que nous donneras-tu ?
Et si nous bombardons
Que nous donneras-tu ?
Les puits de pétrole
et un baiser d'amour.
Les puits de pétrole
et un baiser d'amour.
Des baisers nous n'en voulons pas
par contre, le pétrole bien.
Des baisers nous n'en voulons pas
par contre, le pétrole bien.
Que diront les gens
S'ils nous voient bombarder ?
Que diront les gens
S'ils nous voient bombarder ?
La guerre au terrorisme
nous leur inventerons
La guerre au terrorisme
nous leur inventerons.
Version française – La rue d'Italie – Marco Valdo M.I. – 2008
Chanson italienne - Via Italia – Gang
60 ans d'histoire italienne, de massacres et de mystères.
Calamandrei avait raison. Piero Calamandrei voyait clair quand il disait aux étudiants milanais de l'Umanitaria en 1955, pour les 10 ans de la Libération : « Elle émet un jugement, notre Constitution, un jugement polémique, un jugement négatif contre l'ordre social actuel. »
Ce jugement négatif est toujours de mise dans la Via Italia – et plus encore qu'à l'époque.
Pas étonnant qu'elle ait mal tourné cette Via Italia, on avait empêché qu'elle se débarrasse des collaborateurs du régime fasciste, jusque et y compris dans les tribunaux ; mieux ou pire que cela, comme on voudra, on les a en quelque sorte amnistiés et on leur a ouvert tout grand à nouveau les portes du pouvoir. D'ailleurs, ils y sont installés; ils occupent les écrans de leurs sourires réjouis.
On pourrait supposer par exemple que cet ange tombé dans la via Italia serait la Costituzione elle-même, ou le peuple, ce peuple dont elle portait la voix, y compris le grand cortège des morts dans la lutte contre le fascisme, qui au lever du jour vient dire « Mort, où est notre victoire ? ».
Mais ils se relèvent toutes les nuits et toutes les aubes, ils reposent la même question « Où est notre victoire ? », qui la galvaude ainsi, qui donc empêche qu'adviennent justice et liberté... Après 60 ans, le combat continue.
Ora e sempre : Resistenza !
Mais ce qui se passe en Italie, se passe dans les autres pays. Ce qui est dit de la via Italia est (mutatis mutandis) vrai ailleurs. Dans la guerre de cent mille ans que les riches font aux pauvres, que les pauvres mènent pour vivre enfin hors de la servitude et de la misère, il n'y a pas de frontières. La chanson non plus ne peut connaître de frontières.
Ainsi parlait Marco Valdo M.I.
Dans la rue d'Italie, ils ont éteint les lumières.
Ils ont fermé toutes les grilles.
Un ange est tombé sur la route,
Il y a encore du sang dans ses cheveux.
Dans la rue d'Italie, il y a une ruelle obscure
Elle conduit au pont des Frères noirs.
Si tu y passes, tu rencontres un cadavre.
C'est la patrie déviée, c'est la patrie des mystères.
Et alors, j'ai demandé à la poussière
Si vraiment, nous sommes au temps des assassins.
La réponse est dans la toile d'araignée
Cachée parmi les fils d'une marionnette.
Dans la rue d'Italie, nuit de cristal
Brutus a versé du vin
À présent, il trinque avec Jules et Francesco.
Il y a quelqu'un qui frappe à la porte. Qui c'est ? C'est Caïn.
Dans la rue d'Italie, passe l'histoire
D'un pas de demoiselle.
À présent elle est blette et n'a plus de mémoire.
Elle se donne à qui la veut; la rue d'Italie est sa vitrine.
Et alors, j'ai demandé à la poussière
Si vraiment, nous sommes au temps des assassins.
La réponse est dans la toile d'araignée
Cachée parmi les fils d'une marionnette.
Dans la rue d'Italie, il y a une inscription sur le mur;
“Ici est morte la démocratie !”
Les enfants jouent aux dragons.
Puis sur cette route arrive la police.
Dans la rue d'Italie, ils ont mis les scellés.
Ils les ont mis sur tous les environs
de la rue Fani à la rue Caetani.
Tu peux y mettre cinquante – cinquante-cinq jours.
Et alors, j'ai demandé à la poussière
Si vraiment, nous sommes au temps des assassins.
La réponse est dans la toile d'araignée
Cachée parmi les fils d'une marionnette.
Dans la rue d'Italie, il y a une défaite
qui dort dans un porche.
Si tu regardes deux étages plus haut
Il y a les trois singes assis, assis au balcon...
PRIÈRE DÉMESURÉE
Version française – Prière démesurée – Marco Valdo M.I. – 2008
Chanson italienne – Preghiera smisurata – Fabrizio De André – 1996
Georges Brassens, que Fabrizio De André connaissait très bien, chantait :
Les hommes sont faits, nous dit-on
Pour vivre en bande comme les moutons
Moi, je vis seul et c'est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin.
Brassens disait suivre son chemin de petit bonhomme.
Et pourtant, pourtant, la loi du nombre, celle de la majorité qui a pour seul fondement la maladie comptable qui soit dit en passant est en train de tuer l'espèce. Cette maladie comptable s'étend à tout comme la peste, elle a commis bien des ravages et continue d'en faire. En fait, sous le nom de démocratie, elle n'est que l'alibi d'une dictature des plus perverses. La question reste pendante : comment faire pour que vivent agréablement et en paix de si grands ensembles humains (disons l'humaine nation) et d'autre part, comment faire pour que vivent en paix et agréablement, ceux qui vont à contrevent, ceux qui vont en sens contraire et obstinément. Colomb était parti en sens contraire et obstinément; il est arrivé ailleurs.
Comment préserver « une goutte de splendeur et d'humaine vérité »?
Selon Marco Valdo M.I., toute prière adressée à un quelconque Seigneur n'a absolument aucune chance d'aboutir ni à son entendement, ni a fortiori à une quelconque intervention en retour. Pour la simple et bonne raison qu'il n'y a pas de Seigneur et qu'en tout état de cause, si Arlequin servait plusieurs maîtres, Marco Valdo M.I. pense que l'accession à l'humanité passe par la fin de la servitude, donc de l'existence-même d'un quelconque Seigneur et qu'ainsi finit la désespérance.
Pas de Seigneur, pas d'espérance, est-il sempiternellement répété; d'accord, mais aussi bien : pas d'espérance, pas de désespérance : reste alors l'humaine condition comme une bévue, une anomalie, une distraction, un devoir... L'humaine condition qui s'impose de par sa propre existence. Tel est le destin de celui qui avance « dans une direction obstinée et contraire ».
Ainsi parlait Marco Valdo M.I.
Surplombant les naufrages
de l'observatoire des tours
Elle penche et distante des éléments du désastre
des choses qui surviennent au-delà des paroles
célébrant le rien
Au long d'un vent si facile de
de satiété d'impunité.
Sur le scandale métallique
des armes en usage et désuètes
Pour guider la colonne
de douleur et de fumée
que laissent les innombrables batailles à la tombée de la nuit.
La majorité est la majorité, elle est
récitant un rosaire
d'ambitions mesquines
de peurs millénaires
d'inépuisables arguties
en cultivant tranquillement
l'horrible variété
de ses propres arrogances
La majorité est
comme une maladie
comme une malchance
comme une anesthésie
comme une habitude
Pour celui qui voyage dans une direction obstinée et contraire
avec sa démarche spéciale d'une spéciale désespérance
et au milieu du vomi des réprouvés effectue ses derniers pas
pour offrir à la mort une goutte de splendeur
d'humaine vérité.
Pour celui qui à Akaba soigna la lèpre avec un sceptre postiche
et sème son passage de jalousies dévastatrices et d'enfants
aux noms improbables de chanteurs de tango
en un vaste programme d'éternité.
Souviens-toi Seigneur de ces serviteurs rétifs
aux lois du troupeau,
n'oublie pas leur visage
quand après tant de désarroi
il est juste absolument que la fortune les aide.
Comme une bévue
Comme une anomalie
Comme une distraction
Comme un devoir.