Clip, clap, clop, tagada, tagada et hop, un petit saut.
Telle est aujourd'hui l'entrée en scène de l'âne Lucien qui n'en peut mais...
Ah, Ah ! Je t'ai surpris, tu rêvais encore une fois..., dit Lucien, descendant de Lucien dont on ne sait si c'est celui de Samosathe ou celui de Madaure et qui tel le singe Bosse-de-Nage dit Ha, ha !
Oui, si tu veux dire ainsi, dit Mârco Valdo M.I.. Mais ce n'est pas exactement ça...
Quoi, tu m'as l'air bien sombre, héros !, dit l'âne en se gondolant, c'est-à-dire s'agissant d'un âne, il saute d'un pied sur
l'autre, alternativement un pied avant, puis un pied arrière, puis l'autre pied arrière, puis le pied avant correspondant, le tout dans le sens des aiguilles d'une montre, le sens horaire. Ce qui
à l'évidence indique qu'il a commencé du pied droit... Mais il ne venait pas de se lever, ne vous inquiétez pas !
Oui, si tu veux dire ainsi, dit Mârco Valdo M.I.. Mais ce n'est pas exactement ça...
Ben quoi, qu'est-ce qui t'arrives, mon ami Mârco Valdo M.I.? Te voilà bien triste, tout préoccupé, tout comment dire... angoissé ...
Voilà, mon ami Lucien l'âne aux pieds ailés et zélés, je suis à la fois tout à fait content et en même temps, très effrayé de la chanson que je viens de faire... Je dis faire car c'est une parodie et que dès lors, le mot créer ne s'appliquerait que très imparfaitement et même, abusivement, me semble-t-il, ne te semble-t-il pas ?
En effet, tu as raison, dit l'âne compatissant, composer n'irait pas mieux, car tu ne connais pas la musique et que je te soupçonne fort de faire des parodies, car là au moins, la musique existe déjà.
Tu n'as pas tort, Lucien, et j'ajouterais que le texte aussi existe déjà. Mais ce n'est pas cela qui me tracasse, vois-tu. Le travail du parodiste est quelquefois réduit à la plus simple expression, surtout quand l'auteur de la chanson a du génie et cette fois-ci, pour cette chanson-ci, pour cette parodie-ci, du génie, il en avait et de façon magistrale. Oh, je sais que beaucoup l'ont critiqué, l'ont trouvé dépassé, un peu vieillot, fort ancien, hors jeu en quelque sorte et là, le travail du parodiste donne des clés pour savoir ce qui relève du génie, ce qui est du texte qui passe à travers le temps et ce qui est pure cuistrerie ou confiserie momentanée. Car vois-tu, le parodiste est confronté au texte – plus qu'à la musique qui n'est jamais qu'un substrat, nécessaire certes, mais pas signifiant. Par contre, bien sûr, une musique bien mariée à un texte lui donne une amplitude, une saveur... en somme, la musique, c'est la sauce dans un plat.
D'accord, mais où veux-tu en venir ?, dit Lucien un peu abasourdi par un pareil torrent de paroles. Et puis de qui et de quoi tu me parles ?
Excuse-moi, mon brave Lucien, mais je continuais – tout haut – ma réflexion intérieure. Bref, tu avais de la pensée à l'état pur, mais elle m'était destinée – à usage interne, en quelque sorte. J'en profite pour te dire que c'est comme ça du matin au soir dans ma pauvre tête et même quand je te parle ou quand je fais autre chose, par exemple, marcher ou conduire ou lire ou manger, bref, à peu près tout, sauf dormir – et encore, ce flot de paroles me traverse en permanence.
Eh ben ... dit Lucien, heureusement que je suis un âne. Mais, si je ne perds pas tout à fait le nord, il me semble que tu parlais d'une chanson, de sa parodie et de génie.
Oui, oui, exactement. Revenons-y. Dans la parodie d'aujourd'hui, qui est une chanson de chômage, car tu sais que je suis moi-même chômeur et que j'ai promis à mes camarades de faire des parodies dont le thème est le chômage, il y a tellement de génie que je n'ai pas eu grand chose à faire, sauf peut-être d'y penser. Bon, mais pour ne pas rester trop longuement dans le flou artistique, ce génie de la chanson s'appelle Charles Trenet. Je ne vais pas te raconter sa vie, mais sache quand même qu'il a commencé dans les années 1920 et qu'il chantait encore – la dernière fois, en 1999. Il a été le maître de toute la grande chanson française et il a enterré presque tous ses émules. Je dis émules, car c'est un mot qui te plaît bien...
Excuse-moi, Mârco Valdo M.I., mais tu dis tellement de choses en même temps que je n'arrive pas à suivre convenablement. Oui, j'apprécie beaucoup le mot émule et plus les émules de Charles Trenet que ceux du pape. Cependant, tu as dit que la chanson de Trenet – et je ne sais toujours pas laquelle – était tellement pleine de génie que tu n'as eu qu'à y penser et ta parodie était faite... C'est très intriguant... Dis-moi.
Oui, c'est comme ça. Pour cette parodie, j'ai chantonné Trenet et la chanson est venue d'elle-même. J'ai juste dû changer un mot, un seul. Tu imagines...
Euh, oui... dit l'âne Lucien, vraiment désarçonné, ce qui est singulier pour un âne.
Enfin, je comprends... Enfin, je ne comprends rien...
Quelle peut donc bien être cette chanson ?
Tout simple, dit Mârco Valdo M.I., c'est Je Chante et je n'ai eu qu'à remplacer « chante » par « chôme »... « Je chôme soir et matin, », tu vois tout de suite, la gueule que ça a.
Oh, oh, c'est vrai que c'est du génie..., dit l'âne tellement estomaqué qu'il en plie les genoux.
Et bien, dit Mârco Valdo M.I., ce génie-là s'appelle Trenet. Crois-moi, tu verras, pas un mot de changé et ça colle au milipoil. Du génie et une puissance d'expression... renversante. Mais et c'est là que j'ai commencé à réfléchir avec plus de gravité, ma première réjouissance passée, je me suis aperçu que cette chanson, parodiée comme ça, débouchait sur la réalité tragique de mes camarades chômeurs qui se suicident.
Quoi, des chômeurs se suicident... ? Et pourquoi ? Car ils sont chômeurs ? Ben vous les humains, vous avez de ces manières...
Faire mourir vos semblables.... pour rien, en quelque sorte, car il y a tellement de choses, de vivres, de nourritures, de moyens, d'argent... qu'il suffirait de partager... même un peu
pour commencer. Vous pourriez aussi répartir la charge de travail... Mais enfin, moi, je suis un âne... et ce que je dis, c'est ce que j'en dis...
Oui, dit Mârco valdo M.I., il y a des chômeurs qui se suicident... De désespoir, sans doute; de rage aussi, peut-être; en fait, je
pense bien et crois-moi, je le ressens étant l'un d'eux – je pense bien qu'ils se suicident tellement le monde environnant les méprise, tellement les fonctionnaires les rudoient, tellement les
contrôleurs les poursuivent, tellement même, crois-moi, leurs anciens camarades de travail les oublient, même eux, si, si... Enfin, tellement ils sont humiliés, tellement ils souffrent, tellement
ils étouffent, tellement on les presse de trouver l'introuvable, le Graal, la Pierre philosophale, l'Atlantide, que sais-je... Tellement on les somme de chercher des emplois dont tout le monde
sait qu'ils n'existent pas... Crois-moi, on les pousse à la folie, puis naturellement, au suicide et pire encore, je pense que c'est VOLONTAIREMENT. Car, comment expliquer qu'un
être pensant, ayant connaissance de tous les éléments du problème, sachant qu'il y a des centaines de milliers, des millions de chômeurs et énormément moins d'emplois, comment un être raisonnable
et honnête peut exiger d'autres êtres pensants de trouver des emplois qui n'existent pas et des emplois que pour des raisons tout aussi absurdes, on ne veut pas créer ? Un tel dilemme - celui du
chômeur - ne peut déboucher que sur la folie et finalement, sur le suicide.
Enfin, mon bon ami Lucien, regarde toi-même la chanson et tu me comprendras.... Une dernière chose cependant, je ne vois littéralement pas quelles images je pourrais mettre ici... alors, pour une fois, il n'y en aura pas.
Sauf, peut-être, les coquelicots. J'avais une amie chômeuse et la dernière fois que je l'ai vue... comme un petit coquelicot, mon
âne, comme un petit coquelicot...
Mais, sur le corsage blanc,
Là où battait son coeur,
Y avait trois gouttes de sang
Qui faisaient comme une fleur :
Comme un petit coquelicot, mon âme !
Un tout petit coquelicot.
Je Chôme
Parodie de Je Chante de Charles Trenet et Paul Misraki par Marco Valdo M.I.
qui n'a changé qu'un seul mot ... Le génie de Trenet...
Je chôme !
Je chôme soir et matin,
Je chôme sur mon chemin
Je chôme, je vais de ferme en château
Je chôme pour du pain je chôme pour de l'eau
Je couche
Sur l'herbe tendre des bois
Les mouches
Ne me piquent pas
Je suis heureux, j'ai tout et j'ai rien
Je chôme sur mon chemin
Je suis heureux et libre enfin.
Les nymphes
Divinités de la nuit,
Les nymphes
Couchent dans mon lit.
La lune se faufile à pas de loup
Dans le bois, pour danser, pour danser avec nous.
Je sonne
Chez la comtesse à midi :
Personne,
Elle est partie,
Elle n'a laissé qu'un peu de riz pour moi
Me dit un laquais chinois
Je chôme
Mais la faim qui m'affaiblit
Tourmente
Mon appétit.
Je tombe soudain au creux d'un sentier,
Je défaille en chantant et je meurs à moitié
"Gendarmes,
Qui passez sur le chemin
Gendarmes,
Je tends la main.
Pitié, j'ai faim, je voudrais manger,
Je suis léger... léger..."
Au poste,
D'autres moustaches m'ont dit,
Au poste,
"Ah ! mon ami,
C'est vous le chômeur vagabond ?
On va vous enfermer... oui, votre compte est bon."
Ficelle,
Tu m'as sauvé de la vie,
Ficelle,
Sois donc bénie
Car, grâce à toi j'ai rendu l'esprit,
Je me suis pendu cette nuit... et depuis...
Je chôme !
Je chôme soir et matin,
Je chôme
Sur les chemins,
Je hante les fermes et les châteaux,
Un fantôme qui chôme, on trouve ça rigolo
Je couche,
Parmi les fleurs des talus,
Les mouches
Ne me piquent plus
Je suis heureux, ça va, j'ai plus faim,
Heureux, et libre enfin !