Je t'assure, mon bon Lucien, dit Mârco Valdo M.I., il faut avoir lu ou à tout le moins parcouru le roman de Gabriel Garcia Màrquez pour saisir tout le sens de ces chansons; sinon, en effet, elles t'échappent.
Si je t'entends bien, Mârco Valdo M.I., il y a des chansons qui en quelque sorte dérivent d'un roman ou un d'un autre et qu'il est presque indispensable de connaître ce roman ou cet autre pour comprendre la chanson.
Hum, hum, dit Mârco Valdo M.I. en souriant et en hochant la tête, c'est presque ça. Par exemple, tu te souviens de la chanson que j'ai faite à propos de Chveik le soldat...
Oh, oui, bien sûr !, fait l'âne Lucien en inclinant la tête dès la base du cou, là où par dessus se termine la crinière. Et laisse-moi te dire que non seulement je m'en souviens bien, mais que je n'ai pas encore eu l'occasion de te dire combien elle m'a plu et comme elle me paraît d'une inhabituelle qualité. Faut dire bien sûr que Chveik est un personnage extraordinaire et qu'il était difficile de rater une chanson sur ce sujet... Néanmoins, je te tire mon chapeau... D'accord, je n'en ai pas, mais as-tu déjà vu un âne avec un chapeau et je ne peux quand même pas ôter ma crinière... En fait, je n'ai rien à ôter...
Si, si, tu pourrais ôter ton pied du mien..., dit Mârco Valdo M.I. en riant. Ton enthousiasme te fait faire des bêtises. Tu remarqueras que je n'ai pas dit des âneries... Car que peux-tu faire d'autre, quoi que tu fasses...
Ce n'est pas drôle..., dit Lucien l'âne au pied d'Hermès et de diamant sud-africain en le retirant, mais c'est tout à fait juste. Mais comme on est dimanche, tu me dois deux chansons (au moins); enfin, deux canzones du dimanche, comme tu les appelles et je suppose que ce sont celles dont tu m'as parlé en commençant avant que tu ne dérives vers Chveik.
Oui, dit Mârco Valdo M.I., c'est exactement ce que je compte faire quand tu m'auras laissé terminer mon explication à propos de la chanson sur Chveik le soldat. Comme je l'ai écrite, je sais comment elle a été faite. Les contraintes sont les suivantes : il faut que ce soit une chanson du point de vue de la forme – par exemple, c'est plus courant qu'elle soit versifiée, mais ce n'est pas indispensable. Elle doit avoir – le texte doit avoir en lui-même la musique ou en tout cas, une musique. Du point de vue du texte, c'est complexe une musique, car ce n'est pas seulement des sons (les voyelles), c'est aussi et en même temps, un rythme – la scansion.
Oh, oh, dit Lucien l'âne, ça m'a l'air bien compliqué tout ça.
Des fois, ça l'est; des fois, ça l'est pas. Pour la chanson sur Chveik, ce fut très simple. En fait, chaque fois que je fais une parodie ou une chanson, c'est simple car l'ensemble vient au jour ou si tu veux, sort de ma tête, comme Athèna, que symbolise la chouette, sortant de la tête de Zeus toute armée et poussant son cri de guerre. Dans le cas de la chanson sur Chveik, elle raconte Chveik. Si un jour, tu lis les aventures de Chveik, tu verras que la chanson en quelques lignes a tracé un portrait de Chveik et de sa principale aventure. En plus, elle est synthétique; en l'ayant entendue, tu sais qui est Chveik et de façon générale, tu as une idée de sa vie et tu pourras le reconnaître quand tu le rencontreras. Pour en revenir au début de notre conversation, c'est une chanson qui ne suppose absolument pas qu'on connaisse quoi que ce soit de Chveik avant de l'entendre et elle s'efforce de faire connaître Chveik à qui elle rend hommage et accessoirement, de conduire l'auditeur à lire le roman de Hasek.
Ah, ah, dit l'âne Lucien en songeant à Bosse-de-Nage, ce n'est pas ce que tu as dit au début. Tu disais qu'il fallait avoir lu le roman au préalable et maintenant, tu dis le contraire... Explique-moi...
Et bien, précisément, ce sont des chansons qui dérivent de romans, mais les unes comme je te l'ai dit nécessitent une connaissance du roman et s'inscrivent à l'intérieur de l'orbe culturelle de ce roman et les autres ouvrent l'univers de ce roman à partir du monde extérieur. J'ai fait cette distinction, car les deux chansons d'aujourd'hui supposent que tu connaisses le roman. Enfin, tu peux évidemment comprendre ce qu'elles racontent, mais bien des choses vont t'échapper. Elles fonctionnent comme à l'intérieur d'une « comédie musicale », bâtie sur un roman. De toute façon, ce sont des chansons merveilleuses et tout à fait en phase avec le roman et c'est un réel plaisir de les découvrir.
Bon, si tu me les faisait entendre..., dit l'âne en se frottant la tête sur le tronc de l'arbre voisin – un saule ?, j'essaierai de me débrouiller avec elles comme avec toutes les nouvelles chansons qui m'arrivent.
Je résume, dit Mârco Valdo M.I., : la première raconte l'arrivée du train à Macondo. Macondo Express est une façon de parler; en fait, c'est de la dérision. Ce fameux express est un tortillard de la plus belle espèce. La seconde parle du Colonel qui est sans doute le personnage central de ce roman assez foisonnant avec lequel on pourrait sans doute tenir cent ans dans la solitude à démêler les fils, les petits-fils et les arrières petits-enfants du fondateur de Macondo, un endroit perdu là-bas au fond derrière les marais, passées les montagnes. Et maintenant, place aux canzones du dimanche :
Macondo Express
« Fusils muets amigos »
Dans la version italienne de cette chanson, directement inspirée du roman Cent ans de Solitude de Gabriel Garcia Màrquez, qui comme chacun sait était Colombien, écrivait en espagnol et publia en Argentine, il y a quelques vers en espagnol; le traducteur les a laissés en l'état comme il se devait.
Pour les détails, voir l'excellente traduction en français des époux Durant et pour les hispanisants, le texte original. Il doit bien en traîner un exemplaire à la bibliothèque de ces trente millions de bouquins publiés.
« Fusils muets amigos »
Le train avance en force, on dévore la forêt
Ay madre! Está llegando un tren de extraños pasajeros
Le cirque arrive sur la place et le village se réveille.
Y todo el mundo sale para dar la bienvenida
Arcadio e Pablo Marquez font la file pour les tatouages,
et le petit Buendia est sur le wagon avec la glace.
Hay magos, hay acrobates, hay juventud rebelde
Fusils muets, amigos, on ne tire pas sur les clowns.
Ne tire pas commandant, ne me tire pas président,
Ne t'immisce pas trafiquant, la foire arrive
avec le Macondo express oh oh oh oh oh oh...
Del expreso del Hielo saliron los equipos
Messieurs sur le rideau, le rêve fou a pris vie
Soné que la neve ardía y el fuego se helaba
Le dragon crache le feu sur l'Amérique perdida.
La fête est commencée avec tambours et guitares,
Le chariot des Gitans apporte glace, notes et flammes.
Como me desperte mi sueno estaba realizado
Fusils muets, amis, on ne tire pas sur les clowns.
Ne tire pas commandant, ne me tire pas président,
Ne t'immisce pas trafiquant, la foire arrive
avec le Macondo express ...
Chanson italienne – Macondo Express – Modena City Ramblers
Version française - Macondo Express – Marco Valdo M.I. – 2008
Cent ans de solitude
Colonel, rends tes armes
tu ne peux vaincre, la lutte est déjà finie
Tu as l'Église contre toi,
Tes alliés t'ont trahi
et tu as déjà perdu trop d'amis
dans cette guerre.
Tu as pris part à trente-deux révolutions
et tes trente-deux révolutions, tu les as perdues
(Tienes que esperar!)
Quand tu t'y attendras le moins
viendra un homme
avec ton drapeau en main.
Cent ans (cien años) de soledad
trop de défaites, trop d'ennemis
Tienes que esperar
tienes, tienes que esperar
Cent ans (cien años) de soledad
Le président, le cardinal
le fonds monétaire international
(Tienes que esperar!)
Remedios travaille
au marché de San Cristobal
à l'étal de fruits de sa mère.
À cinq ans, elle a déjà appris
à trafiquer le reste
avec les gringos et les touristes japonais.
Elle descend des Mayas, seigneurs de la Terre
Pour un dollar, on peut la photographier
et sur les photos, elle ne sourit pas,
mais il semble qu'elle écoute
le son d'une musique lointaine
Tienes que esperar
tienes, tienes que esperar
Cent ans (cien años) de soledad
d'échines pliées, de femmes battues
Gardes blanches, mains armées
Cent ans (cien años) de soledad
De vieilles chansons oubliées
des jours rebelles de Paddy Garcia
Padre Miguel vit dans sa favela
Il cherche chaque jour
à donner une réponse
aux miséreux, aux voleurs
aux enfants des rues
avec leurs regards durs et épouvantés à la fois
Aux putains et aux jineteras
aux fugitifs, aux morts de faim
Dieu leur a promis
les cieux et la Terre
et les autres hommes
les jettent dans la boue
Tienes que esperar
tienes, tienes que esperar
Cent ans (cien años) de soledad
Espère et attends, attends et espère
Cache le crucifix
et le drapeau rouge
Cent ans (cien años) de soledad
de mensonges, de parades,
de couvres-feux, de vies volées.
Chanson italienne – Cent'anni di solitudine – Modena City Ramblers – 1997
Version française – Cent ans de solitude – Marco Valdo M.I. 2008