QUID DE L'INTOLÉRANCE À L'ENCONTRE DES
MUSULMANS EN ITALIE ?
Version française des Dernières Nouvelles de l'UAAR – Union des Athées, Agnostiques et Rationalistes. (5 mai 2013) :
Texte italien :http://www.uaar.it/news/2013/05/09/quanta-intolleranza-contro-musulmani-italia/
Il serait peut-être temps de regarder les événements actuels en tenant compte des religions en tant qu'organismes vivants et de leurs processus de développement, plus ou moins accélérés. On peut augurer que comme n'importe quel organisme, n'importe quelle forme de vie, n'importe quelle espèce ou n'importe quel groupe social, les religions suivent un parcours qui va de l'apparition à la disparition – de la naissance à la mort, avec entre les deux, un processus de croissance et de décroissance qui suivrait en gros un schéma général, applicable à toutes.
On peut aussi augurer que chaque religion a un parcours singulier, une histoire singulière qui s'inscrit dans le schéma général du développement d'une religion quelconque.
Synthétisons la chose : un jour, un matin, un moment... peu importe le terme, un illuminé (entendons celui qu'une lumière particulière illumine) annonce qu'il a rencontré Dieu, un dieu, des dieux, etc, que Dieu, etc... lui a parlé, remis des tables de loi, des commandements, des révélations, des récits, des histoires... On peut supposer qu'à ce moment, cet individu est tout seul pour recevoir cette singulière illumination. Comme disait Lao-Tseu, tout voyage commence toujours par un premier pas. Par la suite, il peut en convaincre d'autres, puis de proche en proche, créer un conglomérat assez dense pour faire un groupe de pression et commencer à vouloir répandre sa religion autour de lui... Généralement, à ce moment, on voit apparaître des résistances venant des groupes concurrents (les autres religions, mais aussi les pouvoirs en place) ; suivent alors les affrontements, les répressions, les persécutions... Si la nouvelle religion – organisme jeune et dynamique – persiste et perce, elle tend à étendre sa position et son domaine terrestres. Elle mobilise ses membres et directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, ouvertement ou subrepticement, elle vise à éliminer toute concurrence, à liquider toute opposition, à imposer la Vérité et in fine, à contrôler toute la société, d'abord, localement, puis de proche en proche, elle réplique le phénomène vers l'universalité. The sky is the limit. Et encore...
Mais reprenons. D'abord, durant son premier état de faiblesse numérique, la jeune religion agit en tapinois, en douceur, avec une humilité souvent admirable, digne d'éloges ; puis, au fur et à mesure que son influence s’étend, avec de plus en plus de fermeté de conviction et enfin, par la force. Ce sont là des étapes inévitables de la croissance d'un groupe religieux sur un territoire donné face à des formes concurrentes, hostiles ou simplement, à des populations indifférentes. Toute religion est, par nature et par nécessité intrinsèque, conquérante – en termes pudiques, on dira apostolique.
En ce sens, le processus religieux est un impérialisme et pareillement, l'impérialisme, le mondialisme messianique et le messianisme politique relèvent du processus religieux. Par ailleurs, comme pour tout impérialisme, un tel processus ne laisse pas place à la tolérance, à l'acceptation de la différence ou de processus différenciés et différents... Et moins encore, à l'indifférence. C'est là ce qui constitue le plus grand danger pour les incroyants, agnostiques, athées et autres indifférents.
On peut faire la comparaison suivante : un commerçant, un homme
d'affaires sont en lutte avec leurs concurrents et sont souvent impitoyables, mais tous sont d'accord pour défendre le droit au profit, la liberté du commerce, la concurrence... Cependant, on peut parier que tous les commerçants et gens d'affaires seront d'accord pour dénoncer celui que le commerce ou les affaires laissent indifférent, celui
qui ne sacrifie pas au règne de la marchandise, du profit, de l'argent... Et plus encore évidemment, celui qui en dénonce et en combat la domination et l'imposture. Dans ce cas comme dans celui
de la religion, le pire de tout, c'est de mettre en cause le dogme fondateur ou de volontairement, d'ouvertement l'ignorer. Ce qui ne se peut accepter même et surtout, en principe. Il faut donc
d'une manière ou d'une autre mettre hors jeu cet importu, cet ingénu qui révèle l'inanité du système.
C'est en cela que pour les laïques conséquents, il doit exister le droit absolu à la liberté de pensée, d'opinion et à la liberté d'examen, entendue également comme la liberté de critique, de dénonciation et de dérision. Le principe-même de toute société libre est celui de dire que le roi est nu, de dire ouvertement qu'une chose est ridicule quand en effet, elle l'est. Et aux yeux incroyants, la religion – quelle qu'elle soit – l'est. Le fait que les croyants pensent autrement n'y change rien... Mieux, que les croyants estiment ridicule de ne pas croire, le disent à haute voix et même, rient des convictions de l'incroyant, ce dernier l'accepte sans sourciller. Et pour cause, il n'y voit qu'une opinion contraire et non, un crime de lèse-majesté ou un sacrilège (ce serait bien le comble), ni même ne se sent atteint dans son être. Il pensera tout simplement : Errare humanum est.
Maintenant, voyons ce que des laïques italiens peuvent dire à la communauté musulmane (et par ricochet, aux croyants en tous genres) de leur pays (et au delà).
Ainsi Parlait Lucien Lane
Ces derniers jours, les communautés islamiques italiennes ont écrit au président Napolitano. Elles déplorent des « attitudes hostiles » et demandent qu'on élimine « chaque forme de tension sociale » contre les musulmans. Autrement, « fatigués de cette situation, tôt ou tard ils décideront de descendre par milliers dans les rues à manifester ». Quel est réellement la situation ?
Toujours ces derniers jours, six intégristes islamiques ont été des arrêtés qui selon les enquêteurs, organisaient une cellule terroriste dans les Pouilles. À leur tête, Hosni Hachemi Ben Hassen, un Tunisien de 45 ans et déjà imam à Andria. Sur la base des interceptions, il est apparu que le groupe avait intention d'agir en Italie. Un autre des coinculpés, Essid Sami Ben Khemais, gérait la sécurité du cheik Abu Iyad, à la tête du groupe salafiste Ansar Al Sharia et était recherché l'attaque à l'ambassade Usa à Tunis en septembre 2012. Bien Khemais a été déjà condamné comme proche d'un groupe terroriste. Selon les enquêteurs, les terroristes entendaient porter main forte aux groupes des islamistes sur les théâtres de guerre à l'étranger et même, attaquer un prêtre d'Adria. Un repenti, Elassi Rihad, a révélé qu'en Lombardie sont projetés, même dans les mosquées, des vidéos antioccidentales, et s'y développe une œuvre d'endoctrinement basée sur la haine et avec la promesse du paradis, surtout pour les plus pauvres.
Lorenzini déplore qu'en Italie même exprimer « son opinion envers les choix sociaux et économiques d'un État » (par exemple la critique envers Israël ou les Etats-Unis) puisse porter à l'accusation de terrorisme. Et il exprime une « forte perplexité » pour l'arrestation de « citoyens de confession musulmane », ainsi que « sa pleine solidarité vers ces familles musulmanes qu'on sent opprimées par l'actuel climat de tension, « anti islamique » largement répandu en Italie ». Selon le représentant musulman, c'est vraiment la diffusion d'« attitudes hostiles » envers ceux qui professent l'islam qui empêche « la liberté de profession religieuse garantie par la Constitution » et « force toujours plus de musulmans à se ghettoïser et à ne pas s'intégrer totalement dans la société ».
Lorenzini demande donc l'intervention du chef de l'État « pour garantir la protection en faveur de la communauté islamique afin d'éliminer toute forme de tension sociale contre l'islam et les musulmans qui, lassés de cette situation, tôt ou tard, décideront de descendre par milliers en rue pour manifester ». L'appel est adressé même aux forces de l'ordre, pour qu'elles ne se laissent pas « entraîner par la psychose anti islamique », et aux mass media, auxquels il demande de fournir une information équilibrée.
C'est indubitablement une erreur logique de considérer tous les appartenants à une foi — dans ce cas, l'islamique — comme des intégristes qui répandent la haine et rêvent la destruction de ceux qui ne partagent pas leur religion. Des préjugés, diabolisations et généralisations forcées ne sont pas d'ailleurs très rationnels : les incroyants devraient bien le savoir, vu qu'ils en ont toujours subi, pratiquement de toutes les religions. Mais il ne faut pas pousser sur l'accélérateur du victimisme en considérant comme islamophobie la critique de comportements ou de modes de pensée qui fomentent l'intolérance et la haine. Surtout si on parle d'un fait-divers grave comme l'arrestation de diverses personnes sous l'accusation de terrorisme, depuis des années objets d'enquêtes sur base d'indices consistants.
Des sondages, il résulte que c'est parmi les islamiques que sont les plus répandues les positions intolérantes envers les incroyants et envers les droits humains de catégories comme les homosexuels ou les femmes, ou les positions les plus rétrogrades sur des thèmes comme la sexualité (voir la sexualité prénuptiale). Dans les pays théocratiques des lois liberticides frappent lourdement athées et agnostiques, ainsi que les confessions religieuses minoritaire, et où l'apostasie est un crime. Même dans les pays occidentaux, sont courants des cas de violences sur des femmes et des filles justifiés par des pratiques religieuses ou suivis de protestations aux tons fort violents, où on en appelle même à la mort des « blasphémateurs ». Dans les états occidentaux où la législation a ouvert au communautarisme, émergent des comportements sectaires qui limitent les droits des individus et les communautés se referment, sous la houlette des chefs religieux. Tout ceci fait comprendre mieux pourquoi l'opinion publique relevée dans les sondages voit l'islam comme une religion intolérante. Souvent, il est vrai, abondent même des préjugés qui frôlent le racisme.
Quelques données sont utiles pour évaluer combien est répandue la discrimination à l'égard des islamiques. Un rapport de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne de 2009 note qu'en Italie il y a une grande intolérance à l'égard des Africains du Nord, mais plus sur une base ethnique que religieuse. De sorte que mettre des symboles religieux distinctifs, comme le voile, ne pèse pas sur la discrimination perçue que déplorent les islamiques. Ce sont plus les jeunes (parmi les 16 et 24 ans) qui se sentent discriminés, pendant qu'avec le temps la probabilité de subir des discriminations baisse. L'Eurobarometro de 2012 met en avant une augmentation des discriminations avec la crise économique. L'Italie est parmi les pays où la discrimination vis-à-vis des minorités est plus répandue. Mais il faut remarquer que d'autres minorités (surtout sur base de l'orientation sexuelle) souffrent d'un climat encore moins favorable par rapport aux minorités religieuses. Selon une étude de 2009 menée par l'Open Society, le sentiment anti-islamique croît en Europe . De même, un rapport d'Amnesty International de 2012 le met en évidence : le climat s'est aggravé suite des attentats du 11 septembre 2001 et augmente l'aversion pour des pratiques comme le voile intégral, qui dans un pays comme la France est devenu objet de limitation sur une base législative.
À la lumière de tout ceci, il est important veiller afin d'empêcher que se répandent certaines attitudes et de favoriser la cohabitation et le respect non seulement parmi des individus de cultures diverses, mais même vis-à-vis des personnes qui ont abandonné leur culture d'origine. Cela cependant ne doit pas tourner à un permissivisme vis-à-vis de cultures qui fomentent elles-mêmes la ségrégation et la discrimination, qui attaquent la laïcité et les droits communs, en se plaignant d'en être victimes. Il ne semble pas que l'intolérance à l'égard des musulmans soit beaucoup plus forte que vis-à-vis d'autres minorités. Il faut réfléchir au fait qui ce n'est peut-être pas tant le terrorisme islamique, que le développement de positions contraires aux conquêtes plus répandues dans les sociétés démocratiques contemporaines qui n'aide pas à présenter les musulmans sous une angle plus respectable, par exemple, par rapport aux bouddhistes. Un État laïque défend toute minorité, mais il défend aussi les libertés d'expression et de choix des individus [ du moins, il le devrait...Ndt]. Il est juste que l'État italien garantisse des droits égaux aux citoyens de religion islamique, mais eux aussi sont inévitablement appelés à faire leur part pour renverser la tendance : par exemple, en commençant à assumer eux-mêmes des comportements plus laïques et plus tolérants vis-à-vis des non-musulmans. Et il serait encore plus opportun que les communautés islamiques reconnaissent la liberté d'expression et de critique de ceux qui n'en font pas partie, sans crier comme malheureusement trop souvent il arrive, à l'islamophobie et au racisme. Il y a exactement un mois nous leur demandions de prendre des distances vis-à-vis des appels à la pendaison des jeunes blogueurs athées bangladais... Il ne nous est pas revenu qu'un seul d'entre eux l'ait fait.