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5 août 2008 2 05 /08 /août /2008 23:09

Mais où est-il ? Où est-il passé ? C'est étonnant qu'il ne soit pas là ? Pourtant, il n'a pas dit qu'il ne viendrait pas ce soir... Je suis au désespoir, dit Lucien l'âne aux pieds d'Hermès et aux yeux de brasiers antiques. Qu'a-t-il bien pu se passer ?, dit l'âne en se rongeant l'ongle - juste un peu pour la forme.

 


 



 

 

Rien, rien du tout, j'ai simplement été un peu retardé, dit Mârco Valdo en surgissant de derrière le mur du coin. Figure-toi que j'allais partir et juste à ce moment, le téléphone sonne... et tu sais ce que c'est, on se dit, Mais qui donc peut bien téléphoner à cette heure et si on téléphone, c'est qu'il se passe quelque chose, une chose à laquelle on croit devoir réagir rapidement, on se dit si le téléphone sonne, c'est que c'est urgent.

 

Tout ça, c'est du vent..., dit l'âne, c'est comme celui qui s'inquiète chaque fois qu'il entend braire un âne. Il n'a pas fini de s'inquiéter le malheureux...Un âne, ça brait pour mille raisons. Pas nécessairement pour des raisons importantes et impératives, pas non plus parce qu'il a un signal spécial à envoyer. Non, un âne, ça brait quelquefois pour le plaisir de braire, et encore, ce sont les moins pires. Il y a des ânes qui braient , qui embrayent et qui débrayent, rien que pour se faire remarquer...

 

 

Oui, oui, tu as raison..., dit Mârco Valdo M.I. Donc, le téléphone sonne et je me dis mais quelle idée a-t-on de me téléphoner à cette heure-ci; c'est l'heure où je dois partir. Non, je ne décroche plus, c'est trop tard, ils n'auront qu'à rappeler plus tard. Ah, mais, c'est peut-être Lucien qui veut me faire savoir qu'il est retenu, que je ne dois pas y aller, que notre rendez-vous est reporté, annulé, que sais-je ? Alors, je décroche quand même et c'est une suave jeune personne qui essaye de me vendre du téléphone ou je ne sais quel produit pour les pieds, pour ... Bref, tu avais raison, du vent. Mais tu sais comme on est, on est gentil, on est poli et on veut le rester. Alors, on décline bien doucement l'invitation à gagner au grand concours de la connerie universelle, on s'excuse, on doit partir, peut-être une autre fois, dit-elle... On pense qu'elle aille se faire... mais gentil, poli, on ne le dit pas. Alors, on imagine avec horreur, mais demain elle rappellera... La prochaine fois, on raccrochera.

 

C'est une bonne résolution... Bon, maintenant, de quoi tu vas m'entretenir ce soir, mon bon ami Mârco Valdo M.I. ?, dit l'âne en susurrant ces quelques mots sur un ton trop doux pour être désintéressé. Peut-être une petite page de Marco Camenisch ou de l'autre Achtung Banditen ... ou une chanson ?

 

Ce soir, ce sera une page ou deux de Marco Camenisch, car vois-tu, on ne peut avancer dans ce texte foisonnant d' Achtung Banditen ! que par petits épisodes... L'aborder d'un coup, c'est très difficile, tant il est dense et tant les histoires s'entremêlent. J'ai donc sélectionné - comment faire différemment ? 

 

Oui, oui, c'est bien ainsi, dit l'âne en secouant la tête de haut en bas pour marquer son approbation.

 

Donc, un premier extrait quand Marco Camenisch est à la prison de Milan et où sa mère, Renato sont venus pour le voir et où Piero Tognoli qui les accompagne, doit attendre dans un bistrot voisin les deux heures de la visite. Cette séquence, on la retrouvera régulièrement, mais avec des variantes qui font comme une progression dans le récit. Et puis, le deuxième extrait se situe un an plus tard à la prison de Novare d'où Marco Camenisch fait passer un texte qui raconte comment a été traité un détenu de ses amis... C'est horrifiant.

 

Milan, San Vittore, 29 août 1992

 

 

A Milan, l’été ne pardonne pas ! Pas seulement aux détenus. Dans le petit bar adjacent à San Vittore, je passe mes deux heures à faire banquette. Je tue le temps avec un bon livre après m’être gâté le foie d’un rapide coup d’œil au quotidien glané sur un guéridon.

J’ignore quasi systématiquement les uniformes qui se succèdent au comptoir et immergé dans la lecture de Garabombo l’invisible (Manuel Scorza), je ne rends pas compte de leurs pas. Annaberta et Renato sont devant moi, ponctuels au rendez-vous.

« Marco va bien et il est en bonne santé ». La joie d’Annaberta m’enveloppe dans ces deux heures de conversation que je n’ai pas pu avoir et dont je me sens dès lors exclu. Au travers de son regard lumineux, j’entrevois les yeux de Marco et je participe à ces émotions vives. Même Renato, habituellement renfermé en lui-même, s’est revitalisé avec de bonnes énergies solaires, tout en restant peu disponible au dialogue.

On sue rien qu’à respirer et on s’en retourne en exprimant deux désirs très forts.

La liberté de Marco par-dessus tout !

Le retour dans nos vallées en second lieu !

L’arrêt MM S.Agostino, ligne verte, désormais n’est pas loin. Satisfaire notre premier désir semble un songe distant d’années-lumière.

 

 

.......

 

Donc presqu'un an plus tard, on retrouve Marco Camenisch à la prison de Novara. Une prison où il y a plus de prisonniers politiques. Historiquement, des prisonniers politiques, il y en a toujours eus... Il y eut par exemple, Socrate...

 

Oui, oui, je m'en souviens, dit l'âne quand j'étais en Grèce, on m'en a beaucoup parlé.

 

Mais comme pour Socrate, d'ailleurs, leur sort n'est pas des plus enviables. Ici, Marco Camenisch va raconter ce qui arrive à l'un d'entre eux, mais aussi il te faudra être attentif à tous les détails qui surgissent de partout dans ce récit. Je t'en indique quelques-uns : d'abord, l'arrivée dans notre histoire de l'Histoire contemporaine et de cette longue chasse aux femmes et aux hommes que le système mène depuis des dizaines d'années et pas seulement en Italie. Tous ceux qui ont le courage de le mettre en cause font l'objet de traitements spéciaux et curieusement, ce qui se passait au moment où Marco Camenisch en parlait se passe encore aujourd'hui. La traque à l'homme se poursuit...

 

Mais, dit Lucien l'âne, on m'a dit que même quand le temps était passé, quand les gens avaient refait leur vie au loin, même quand ils avaient quitté le lieu du combat, quand malades et épuisés, ils s'étaient retirés des voitures, quand ils ont construit une vie dans laquelle ils n'usent plus de méthodes d'action directes, on continue à les poursuivre d'une vindicte insensée...

 

C'est exact, mon bon ami Lucien, les uns se battent pour rendre la vie des hommes meilleure, la vie de tous les humains; les autres se battent pour protéger leurs privilèges ou ceux de leurs maîtres. On en revient toujours à cette fameuse guerre civile que les riches mènent contre les pauvres, les puissants contre les faibles. Pour en revenir aux détails auxquels je te convie de prendre la plus grande attention dans notre récit, il y a bien entendu les tortures et les tortionnaires, les tortures physiques, mais aussi les tortures psychologiques... et l'imagination sadique qu'elles révèlent. Comme de faire entendre aux autres prisonniers les cris des torturés, comme de simuler qu'on va les abattre... D'accord, il y a eu des précédents dans l'histoire avec les nazifascistes... mais précisément, ce sont les mêmes qui sont revenus.

Et puis, il y a les traîtres, ceux qui se sont vendus à l'autre camp, ceux qui se sont couverts de honte pour toujours; rien qu'ici, il y en a deux : Zedda et Paghera.

 

Oh, Oh, dit l'âne en crachant un jus vert d'herbes longuement mâchées, que l'indignation et la honte se fassent indélébiles et les marquent pour l'éternité... Tu as parfaitement raison, c'est tout ce qu'ils méritent... D'ailleurs, si ce n'était ta présence et l'amitié que j'ai pour toi, je chierais ici pour faire sentir mon dédain...

 

Ne te gêne surtout pas, j'apprécierai volontiers le dédain que tu portes à ce genre de tas de...

 

Proutch, proutch, plotch, plotch..., fait Lucien l'âne libérant en même temps une sonorité de fanfare.

 

Exactement çà, dit Mârco Valdo M.I. Des tas de merde...

 

 

 

 

Novara, 30 mai 1993.

 

Je commence à être moins mal qu’à San Vittore. Enfin, des gens qui me ressemblent plus !

.....

 

 

Tortures et démembrements

Novara, 1er juin 1993.

 

Salvatore Cirincione a été un militant d’ « Action Révolutionnaire », un groupe armé des années 1970. Après son arrestation, il a subi des tabassages et leurs graves conséquences que sont ses hémorragies vésicales continues, tandis que son état empire avec la prison.

En novembre 1992, il fut capturé en Italie, où il devait accomplir un reliquat de peine après un long exil en France. Suite à sa dénonciation, sa résistance et sa lutte contre la détention des personnes malades au Centre clinique de Milan et dans le circuit carcéral italien, il est soumis aux attentions et aux finesses particulières de leur répression. Dernièrement, pour des « motifs d’escorte et de sécurité », ils lui ont refusé des examens médicaux dans une clinique extérieure, qui, logiquement je suppose, sont nécessaires QUOI QU’IL EN SOIT.

 

La torture est le système le plus sournois pour détruire un être humain. Ils ont attrapé Salvatore par le chantage sur sa fille Laura qui, à quatre ans à peine, se trouva avec une mitraillette pointée sur sa tête. Dès ce 30 avril 1980, Salvatore comprit ce qui se passerait après la perquisition, où tout fut démoli.

Emmené à la caserne CERNAIA de la rue Volpe à Turin, il a eu malheureusement le plaisir de connaître les colonels Schettino et Delfino, aujourd’hui chef des ROS. Ils lui dirent en clair qu’en cas de non-collaboration, il y aurait un traitement particulier. Quelqu’un simula une exécution : pendant qu’un jeune carabinier armait sa mitraillette, quelqu’un d’autre cria « Feu ! ». Mais c’était un bluff, l’arme était déchargée.

 

Après bien quatorze heures dans les cellules souterraines, avec les mains menottées derrière le dos, on l’appelle de nuit pour savoir s’il a changé d’idée. La pièce est maculée de sang. Ils sont six : quatre mauvais et deux qui jouent le rôle des bons. A un certain moment, entre dans la pièce ZEDDA, le repenti de Prima Linea, qui fait un petit discours venimeux sur le fait que lui, il n’a pas subi ce que pourrait subir Salvatore s’il continue ainsi. Salvatore lui crache à la figure et il reçoit les premiers « soins » de la part des mauvais. Après une vingtaine de minutes, les bons interviennent en disant « Basta ! ». Mieux, ils le prennent par les cheveux et lui tapent la tête contre le mur ; il est blessé au front et on lui mettra ensuite deux points à la prison de Florence.

 

Pendant deux jours d’isolement total, on l’empêche de dormir avec la lumière toujours allumée et un carabinier qui l’éveille dès qu’il réussit à s’endormir. Dans la cellule voisine, une compagne enceinte hurle ; Salvatore ne se rappelle pas son nom, mais il apprit par la suite qu’elle a avorté.

Le troisième jour, ils recommencent les interrogatoires, avec les traitements habituels et l’adrénaline arrive à éliminer toute sensation, même la douleur. De retour en cellule, après avoir subi une douche froide avec la lance à incendie, il marche quelques mètres et cherche à se réchauffer. La nuit, ils installent devant sa porte deux chiens-loups qui, à chacun de ses mouvements, grognent menaçants tandis qu’à l’extérieur, on entend des ricanements.

 

Après six jours, ils attribuent à Salvatore la participation à tous les faits dont l’accuse PAR OUIE-DIRE le repenti Enrico Paghera. Il nie tout et les carabiniers, furieux comme des bêtes, le menottent à un radiateur avec le dos vers la porte et c’est à cette occasion qu’un des « braves » lui donne un coup de botte, en lui provoquant la lésion à la première vertèbre. Il commence à pisser du sang, son bras gauche est paralysé et sa jambe gauche ne fonctionne plus.

 

Un lieutenant-médecin, vu la gravité de la chose, le fait transférer à l’hôpital en urgence, en disant qu’il est tombé. On le cathète et dans la nuit, avec des douleurs atroces, on le transfère à Florence. Les carabiniers de la caserne Ognisanti sont furieux contre ce que leurs collègues de Turin lui ont fait : yeux noirs, front fendu, vessie rompue, bras et jambe gauche à demi-paralysés. Ils doivent l’interroger, mais Salvatore en rage les envoie se faire foutre. Ils ne le frappent pas, sauf un crétin qui s’énerve car il lui a donné du fils de pute et qui lui éteint une cigarette sur le bras. Il est repris par ses supérieurs, qui lui disent : « Ça ne suffit donc pas ce qu’ils lui ont fait ? ». Ils l’emmènent aux Murates. Il s’est passé douze jours depuis son arrestation.

 

Salvatore se souvient que le brigadier des gardiens Meloni a dit aux carabiniers : « N’êtes-vous pas honteux de la façon dont vous l’avez traité !!! ». Ensuite, il y a deux heures de tractations, car ils ne veulent pas l’accepter en prison dans ces conditions, mais les carabiniers disent textuellement : « Ou vous le prenez ainsi ou vous le trouverez sur les berges de l’Arno, assassiné avec l’excuse qu’il a voulu s’échapper ». A la fin, ils l’acceptent et un docteur qui lui fait faire de la morphine contre la douleur veut savoir toute l’histoire. Cette nuit-là, Salvatore cherche à se suicider, mais un garde mis là comme planton, l’en empêche.

 

Le jour suivant, à peine ont-ils connaissance de son arrivée et de son état de santé, les camarades détenus de l’étage en-dessous font du chambard. Après des radios, des examens et des contrôles médicaux, on le met avec les camarades qui l’aident beaucoup. Il arrive à voir son avocat Francesco Mori et ensuite aussi, l’avocat Filastò.

Finalement, il est interrogé par Vigna qui lui dit qu’il n’a pas été torturé assez.

 


 


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