Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 22:21
Dis Lucien, mon bon ami aux poils si drus et si noirs et aux pieds de lave, te souviens-tu de cette canzone de Francesco De Gregori, ce chantauteur italien, qui parlait du Titanic et de ses voyageurs pleins d'illusions et de cette fille hystérique que le petit morse affolait.

 

Bien évidemment, Mârco Valdo M.I., dit Lucien l'âne en arrivant de son petit pas tranquille, un pas d'amble d'or, c'est sûr que je me souviens très parfaitement de cette canzone et d'autres que tu as traduites de Francesco De Gregori... Mais pourquoi me demandes-tu celà ?

 

Tout simplement, si tu veux bien, j'en ai deux que j'ai traduites nouvellement pour les amis de Canzoni contro la guerra et que j'aimerais te les faire connaître... J'y joins les commentaires que j'ai faits pour le site. Vois-tu, Lucien, mon camarade de bavardages, c'est tellement passionnant la chanson, vue comme une des formes de la poésie, que j'y consacre pas mal de mon temps et que j'en tire un tel plaisir, j'y trouve un tel bonheur que j'ai comme une envie de t'en offrir des morceaux. Et puis, j'aime beaucoup cette langue elliptique et bizarre; elle me convient bien et c'est aussi un lieu étonnant de création de la langue. Il y a une grande liberté dans la contrainte de la chanson. Tu sais, cette contrainte qu'il y a de se syntoniser avec une musique. Je vais même te dire un secret, mais je t'en prie, il faut que çà reste entre nous, sinon ce ne sera plus un secret. Tu comprends ?

 

Mais certainement, Mârco Valdo M.I.. Je comprends très bien qu'un secret qui ne reste pas secret n'est plus un secret et que si on demande qu'un secret reste secret, c'est pour qu'il soit secret. Ai-je bien résumé ? Alors, quel est ce secret ?

 

Ne fais pas l'âne, tu l'es déjà, mon brave Lucien au cœur d'or. Quand c'est secret, c'est secret et çà reste secret, un point c'est tout, dit Mârco Valdo M.I.. Mais voici ce dont il s'agit. J'ai traduit plus de cent chansons depuis quelques mois – de l'italien vers le français. Jusque là, rien de secret. Mais le secret, le voici. Je n'écoute pas la musique. Je fais le texte par disons, assimilation poétique, par musique intérieure des mots, des phrases...

 

Hihan, dit l'âne pour faire l'âne, c'est bien surprenant, mon ami Mârco Valdo M.I.. Tu ne tiens pas compte de la musique ? Comment est-ce possible... Les chansons sont toujours faites de paroles et de musique.

 

Et comment donc, sinon, ce ne serait pas des chansons, mais crois-moi, il n'y a pas besoin d'entendre la musique d'une chanson pour savoir si elle est bonne, si – disons pour moi – elle vaut que je me mette à la traduire, c'est-à-dire à en faire une chanson en français – le français étant la langue que je pratique; ce pourrait être une autre. En fait, je dois me sentir bien avec le texte italien, je dois le sentir en quelque sorte surgir tout seul du néant et les mots doivent couler en français comme s'ils venaient d'une source mystérieuse. En fait, on pourrait comparer ce travail à celui d'un violoniste qui jouerait un air qu'il aurait entendu, qu'il sentirait au profond de lui-même et qui le ressortirait tout neuf de son violon. Disons, si tu le veux, que la traduction comme je la ressens, comme je la conçois et comme je la pratique est une sorte d'artisanat, de création poétique, de recréation poétique. Je pourrais aussi évoquer comme une matière qui prendrait forme sous les doigts.

 

En voilà des considérations bien passionnantes, dit l'âne Lucien en souriant de ses immenses dents toutes bien rangées des deux côtés de sa langue, au dessus et en dessous. Mais dis-moi, Mârco Valdo M.I., quelles sont les chansons, les canzones du jour....

 





Et puis, toujours pour ce secret, il y a une raison impérieuse qui fait que je n'écoute quasiment jamais les canzones : c'est le temps. Il y faudrait du temps et du temps, je n'en ai pas. Mais à présent, procédons par ordre, dit Mârco Valdo M.I.. La première de ces canzones, peut être rattachée au cycle du Titanic, mais elle fait intervenir un personnage dont on n'a pas parlé dans la canzone qui porte le nom de ce navire prestigieusement englouti. Tu te souviens bien, je suppose, de ce bateau si arrogant, si présomptueux qui s'en alla par le fond à sa première sortie en mer. En somme, c'était un bateau qui avait voulu se faire plus gros que l'iceberg... Il aurait dû lire La Fontaine. Donc, la canzone du jour parle du chauffeur, d'un des chauffeurs de cette immense locomotive aquatique, un de ces hommes (ils devaient être nombreux pour nourrir un tel titan) qui enfournait le charbon dans le mini-volcan perdu au fond de la cale. En somme, c'est une bourrique, cet homme-là. Il n'a pas un meilleur destin que l'âne qu'on attache au moulin et qui tourne, tourne, jusqu'à tomber raide. On entend aussi la désolation de sa mère, une mamma qui reproche à son fils de s'en aller ainsi... Mais comme toujours, c'est la misère qui commande...

 

Oh, avec ce que tu en dis, mon ami Mârco Valdo M.I., j'aime déjà cette canzone. Et l'autre, que dit-elle...?

 

Elle parle de rien, elle parle du vent... Une canzone sur le vent, sur la tramontane. Et pour en revenir à mes propos sur l'art de traduire, je voudrais te donner l'exemple du titre de cette canzone. De Gregori l'a intitulée : Vento dal nulla. On aurait dû logiquement traduire : Vent du rien, Vent de nulle part...

Ce qui aurait été très bien, mais vois-tu, Lucien, toi qui a des oreilles si sensibles au son – au point que tu fais l'âne pour avoir du son - tu as sans aucun doute un penchant pour les allitérations ou pour les approximations sonores sont une des formes les plus poétiques que je connaisse. Et vois-tu comme le monde va bien, il existe un instrument de musique, qui symbolise assez bien cette tramontane et ses errements sonores. Résumons : qui symbolise bien ce vent de néant et curieusement, c'est le bandonéon. Pour un oreille sensible comme la tienne, la parenté est évidente. Ceci conduirait à une forme de musique... au son argentin.




 

 

Et bien,Mârco Valdo M.I., je suis tout ouïe, dit l'âne Lucien en dressant ses oreilles et en les ouvrant grand comme les voiles d'une goélette pressée d'atteindre la pleine mer. Allons-y pour les canzones de Francesco De Gregori.

 

Ne cours pas si vite, mon ami Lucien aux pieds ailés comme les talons d'Hermès. J'ai encore une canzone pour toi, mais elle n'est pas de Francesco De Gregori. Je ne l'ai même pas traduite, car c'est une chanson française. Au départ et pendant très longtemps – disons un demi-siècle, elle fut une chanson sans musique ajoutée. Elle chantait d'elle même. Bref, c'est une poésie, une chanson traduite du néant par Guillaume Apollinaire. Sans doute, une des plus belles chansons de la lingua francese. Bien sûr, elle reprit son envol du jour où Léo Ferré – ce musicien poète ou poète musicien – lui colla des notes sur le texte, lui proposa des acolytes instrumentaux et une voix pour la porter dans l'espace... Et maintenant, allons-y...

 

 

 

L'accoutrement du chauffeur.

 

Est-ce vraiment une bonne traduction que celle que j'ai adoptée pour le titre ? L'accoutrement du chauffeur. Est-ce bien cela qui convient ? N'eût-il pas fallu dire : L'habillement du chauffeur ou la tenue du chauffeur ou encore, L'habillage du chauffeur ? Que sais-je ? Mais voilà, le voilà, regardez-le avec un béret de marin, ou alors, une casquette, sa casaque, sa veste et son pantalon carbonisé aux fesses, pauvre, pauvre et condamné aux cales d'un navire noir noir dont ils disent qu'il ne peut sombrer. La mère, la mamma, a raison, elle a déjà perdu son fils. Oh, elle feint de croire qu'il se perdra dans les bras de femmes d'Amérique; mais elle pressent bien qu'il finira dans le lit profond de l'Atlantique. Normal, le bateau s'appelle le Titanic.

De toute façon, peu importe le navire, le fond de cale est toujours noir; le chauffeur a toujours les fesses carbonisées et ce galérien moderne ne voit rien du monde. Il vit dans le noir; c'est un mineur de la mer; c'est un émigrant itinérant. Une fois pris au piège de la cale, une fois monté à bord, le voilà séquestré pour des mois, pour des années, pour la vie, à la merci d'un armateur lointain – souvent milliardaire – qui ne sait rien des hommes de soute, si ce n'est ce qu'ils lui coûtent... Pour l'armateur, ce doit être le moins possible.

Maintenant, depuis qu'on n'utilise plus le charbon pour faire avancer les navires, les chauffeurs n'ont plus les fesses carbonisées. Mais ils sont restés des soutiers, des zombies de fond de cale et souvent, Indiens, Pakistanais, Grecs, Moluquois, Coréens, Thaïlandais, Chiliens, Chinois, Polonais, Russes ou Lettons... Allez savoir... Quelquefois, on ne connaît même pas leur nationalité... ils sombrent avec les épaves qu'ils font avancer sur les océans. Ce sont des galériens, des esclaves modernes. Les émigrés de la mer sont des prisonniers flottants.

 

Tous comptes faits, c'est bien un accoutrement...

 

L'accoutrement du chauffeur.

 

Canzone italienne – L'abbigliamento di un fuochista – Francesco De Gregori – 1982

Version française – L'accoutrement du chauffeur – Marco Valdo M.I. – 2008

 

Mon fils avec ces yeux,

je dois te voir avec ces yeux,

avec tes pantalons brûlés au derrière,

et ces chaussures neuves neuves.

Fils sans lendemain,

avec ce regard d'animal en fuite

et sur ton essuie de bain, ces larmes

qu'ils ne veulent pas connaître.

 

Mon fils avec un pied encore à terre

et l'autre déjà en mer

et une veste pour te couvrir

et un béret pour saluer

et des sous serrés dans ta ceinture

pour que personne ne puisse te les prendre,

les gens aujourd'hui n'ont plus peur,

même de voler.

 

Mais maman, à moi, ils me volent ma vie

quand ils me mettent à la peine,

pour quelques dollars dans les chaufferies,

sous le niveau de la mer.

Dans ce noir noir navire qui, me disent-ils,

ne peut aller par le fond,

dans ce noir noir navire qui, me disent-ils,

ne peut sombrer.

 

Mon fils avec ces yeux

et cette peine dans le cœur,

maintenant que le navire s'en est allé

et qu'est revenu le remorqueur.

Mon fils sans chaînes,

sans chemise, comme tu es né,

sur cet Atlantique de malheur,

mon fils déjà oublié.

 

Mon fils qui avait tout

et à qui rien ne manquait

et qui ira mêler ton visage

au visage d'autres gens

et qui te mariera probablement

dans un bordel américain

et qui aura des enfants d'une femme étrange

et qui ne parleront pas l'italien.

 

Mais maman, pour te dire le vrai,

je ne sais pas ce qu'est l'italien,

et même si je traverse le monde,

je ne connais pas la géographie.

Dans ce noir noir navire qui, me disent-ils,

ne peut aller par le fond,

dans ce noir noir navire qui, me disent-ils,

ne peut sombrer.

 

 

 

 

Vent du néant

 

Francesco De Gregori avec ce Vent du néant a fait un authentique poème, et ce vent de là-bas, de nulle part, vent de rien... n'est autre finalement que le souffle, n'est autre que la vie qui va, qui vient et qui ravage tout, partout où il passe.

 

La poésie est comme le vent, elle va, elle vient, elle ravage tout, y compris la guerre, y compris la peur.

 

Alors, savoir si la canzone de Francesco De Gregori parle ou non de la guerre, n'a qu'un intérêt très ténu. Car comme Le Déserteur de Boris Vian, si elle n'est (ouvertement) une canzone antimilitariste, elle est assurément une canzone procivile, une canzone de paix, une canzone paisible.

 

Pour le traducteur, elle évoque quelques grandes canzones de la langue française. Celle-ci que je cite de mémoire (ô, je pourrais aller vérifier le texte exact, mais çà me gêne de vérifier si ma mémoire est fidèle à Tonton Georges; elle doit l'être) :

 

« J'ai perdu la tramontane en perdant Margot,

princesse vêtue de laine, déesse en sabots

Si les fleurs le long des routes se mettaient à marcher,

C'est à la Margot sans doute qu'elles feraient songer »

 

et puis, cet autre pur soleil poétique, lumière parmi les lumières, voix parmi les voix, voix d'Apollinaire, cet apatride (polonais, né à Rome, soldat français...) de Paris, chanté si merveilleusement par Léo Ferré, qui toujours reste en l'esprit comme une vague qui va qui vient, comme le vent de néant.

 

« Tu n'en reviendras pas, toi qui courait les filles

Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu... » (Louis Aragon),

il en était revenu pourtant; mais trépané à la guerre, Guillaume ne survivra pas longtemps... et qu'on ne vienne pas me dire que le Pont Mirabeau (1912) n'est pas un chant de paix.

 

Comment ne pas évoquer non plus, cette canzone d'avant-guerre – de la guerre suivante, « Le vent m'a dit une canzone » (1937) [A.Mauprey – Lothar-Brühme]... Sinistre à souhait, comme une prémonition...

 

Je finirai par croire que le vent est rempli de présages et que la chanson est une sorte de Cassandre...

 

 

 

Chanson italienne – Vento del nulla – Francesco De Gregori – 1989

Version française – Vent du néant – Marco Valdo M.I. – 2008

 

Sous le pont, passe la tramontane

Elle me bat le front, passe la tramontane,

Elle frappe la poitrine, passe la tramontane

On meurt déjà de froid, passe la tramontane.

Personne ne peut m'expliquer d'où elle vient,

On ne respire pas quand passe la tramontane.

Passe la tramontane qui chante une chanson

et dans cette chanson, il y a ton nom.

 

 

Dedans cette chanson, il y a un peu d'amour,

et mon cœur bat quand passe la tramontane.

Personne ne peut m'expliquer ce discours,

qui s'en va quand passe la tramontane.

Elle balaye la terre, passe la tramontane

Arrive la guerre, passe la tramontane.

On ferme les fenêtres, on parle un peu plus bas

Je te prendrai la main quand la tramontane passera.

 

Quand passe la tramontane, sous le pont,

il n'y a plus un nuage dans tout le ciel, pour tout l'horizon.

On actionne la sirène, on clôt les ventaux,

notre souper sera d'ailes de passereau.

Et ensemble, on rendra la nuit moins sombre

Et nous ôterons de nos yeux la peur de l'ombre.

 

 

Et comme promis, pour terminer, vous prendrez bien, Monsieur l'âne aux oreilles flottantes, un peu d'Apollinaire...

 

 


LE PONT MIRABEAU



Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires