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24 octobre 2008 5 24 /10 /octobre /2008 23:46

Mais évidemment, Lucien mon bon ami, dit Mârco Valdo M.I., je le comprends très bien que tout le monde n'a pas envie de lire tout le temps des textes à propos de Marco Camenisch. Je le comprends bien et d'ailleurs, tu vois qu'en tout cas, nous on parle souvent d'autre chose. Mais quand même, je ne te raconte pas ces histoires – toutes ces histoires et toutes ces chansons – uniquement pour meubler ton ennui...


C'est sûr, Mârco Valdo M.I., dit l'âne en raclant le sol avec son pied gauche, tout noir, si noir qu'on le confond aisément avec son pied droit qui est vraiment très noir. Cependant, laisse-moi te dire que tu y arrives très bien à meubler mon ennui. Enfin, pour un peu que j'aie de l'ennui, que j'en souffre, que je le ressente. Mais voilà, je ne connais pas l'ennui... J'aimerais bien, tu sais, mais je n'arrive pas à m'ennuyer. Qu'en est-il pour toi de cette sensation d'ennui ?


Je pense, Lucien mon ami, dit Mârco Valdo M.I., exactement comme toi. J'aimerais tant avoir du temps et la capacité de m'ennuyer, mais je n'y arrive pas. On dit, vois-tu Lucien, chez les humains, on dit que celui qui ne fait rien s'ennuie. Et bien, je fais des efforts extraordinaires et depuis des années pour ne rien faire, je fais tout pour arriver à l'ennui et je n'y arrive pas. J'ai abandonné toute velléité de travail pour y arriver et je n'y arrive pas. Crois-moi, Lucien, l'ennui est un objectif hors de ma portée. Par contre, ce que je peux très bien faire et là, je suis champion, c'est ne rien faire. Je veux dire ne rien faire qu'un autre puisse en tirer profit; bref, je refuse tout emploi, je refuse toute forme de travail stipendié. Note que j'accepterais volontiers d'apporter ma contribution à une œuvre véritablement collective et utile, une œuvre ou un travail qui profiterait à la collectivité et d'y apporter une coopération enthousiaste et sans faille... Même si j'ai un goût immodéré pour les siestes, pour le Dieu Sommeil, je sais aussi faire et de façon ordonnée, avec une obstination digne des ânes les plus têtus, avec une conscience profonde, y mettre du mien, comme on dit.


Oui, je te connais assez pour savoir tout cela, mon ami Mârco Valdo M.I.. Mais dis-moi, tu vas me parler de Marco Camenisch... et laisse-moi te dire que je suis très heureux d'entendre – par ta voix, bien sûr – son récit. Je ne comprends pas très bien où tu veux en venir avec mon supposé ennui qui n'existe pas ou l'idée de ce « tout le temps »... tes récits sont assez diversifiés, crois-moi, pour que je ne ressente pas l'histoire de Marco Camenisch comme pesante. Bien au contraire, comme je te l'ai dit, j'attends la suite avec intérêt, sympathie et un très fort sentiment de solidarité. Alors, que veux-tu dire ?


Ce que j'avais en tête, vois-tu, mon bon Lucien, c'est précisément cette idée que le récit de Marco Camenisch tel que je le présente en français est réduit par rapport à la version d'origine et celui qui a réduit, c'est moi. De même, je l'entremêle avec d'autres récits, notamment pour faire durer l'intérêt, pour parler plus longuement de Marco Camenisch car rappelle-toi, j'ai traduit ce livre (il est assez long) pour faire connaître le vilain destin que les États infligent aux gens comme lui. En somme, c'est une tâche de révélation de ce qui est caché, de diffusion de ce qui est tu, d'édition de ce que je ne peux éditer par les voies traditionnelles, c'est enfin vis-à-vis de Marco Camenisch et de tous les « achtung banditen ! », une marque de solidarité.


Très bien et alors, Mârco Valdo M.I. ?, dit l'âne en tournant deux fois sur lui-même pour marquer par ce rythme de danse, à sa manière, un mouvement de solidarité. Que vas-tu me raconter aujourd'hui, qu'as-tu retenu, car ainsi vont les choses, si j'ai bien compris, qu'as-tu retenu du récit de Marco Camenisch....?


Je vais essayer de te résumer tout ça, mon cher âne noir. J'ai d'abord retenu toutes une série de notations qui font une sorte de portrait pointilliste de ce qui passe par la tête de notre héros, quelles sont les pensées qui cheminent au long de ces jours, de ces semaines, de ces mois, de ces années d'enfermement dans la tête d'un prisonnier parmi tant d'autres. Ces pensées, à mon sens, sont chacune des unités de résistance, des bulles, comme il le dit. Je parlerais aussi de courants sousjacents, de courants souterrains, des écoulements de pensées qui vont tous se regroupant et former ce mental particulier et lui donner force et intelligence. Regarde comme il marque ses marques, comment il délimite son monde mental, la prise mentale qu'il a sur le monde. En fait, c'est un peu cela que je veux montrer... Cela et sa capacité à construire une résistance aux pressions énormes du système.... Te souviens-tu, par exemple, de ma réflexion où je disais que nous n'étions finalement rien, si ce n'est une sorte de grain de sable sur une plage immense – un sept milliardième et bientôt, un dix milliardième... Mais que nous étions aussi un. Et qu' un grain de sable peut, en effet, mettre à mal la plus terrifiante des machines ou grain de silicium, être le lieu où se construit la pensée... Une autre idée, sur laquelle je reviendrai un jour que j'aurai le temps, c'est qu'une bonne façon de penser est de considérer que chaque idée (appelons ça comme ça), émise par l'un ou l'autre, est en fait une idée émise à partir d'un point d'une sorte de cerveau commun. Bref, on pense ensemble et il faut commencer par accepter cette position d'être ou d'énoncer un élément de la pensée commune. Ainsi, je m'égare.


Non pas vraiment, dit l'âne. Je vois très nettement ce que tu veux me dire. Et pour le récit de Marco Camenisch, je le perçois tout à fait comme un élément d'une pensée commune.


Par exemple, j'aime beaucoup la réplique cinglante de Marco Camenisch que l'on accuse depuis toujours d'être un « terroriste ». Il dit : « Alors être appelé « terroriste » par vous est le plus grand honneur qu’on puisse me faire. ». J'aime beaucoup et je suis d'accord avec lui. C'est d'ailleurs le sens de l'honneur qu'il y a à être catalogué « Achtung Banditen ! » et sa revendication rappelle celle de Thyl Uylenspiegel et des Gueux qui s'étaient fait une gloire du nom insultant que le Pouvoir leur avait lancé à la tête. Par parenthèse, Günther Grass, tu sais cet immense écrivain allemand, vouait à Uylenspiegel une grande admiration et je crois bien qu'il avait parfaitement raison. Ceci dit être ainsi traité de Gueux ou de terroriste... C'est un peu comme si le Pape me traitait d'athée... ou de renégat ou d'impie ou d'incroyant ou m'excommuniait...




Christ enceinte


 


D'ailleurs, on m'a souvent traité de terroriste - alors que je ne terrorise personne, en réalité... Enfin, Lucien mon ami, ce que j'aime dans cette forme de récit, c'est, en fait, qu'on converse tout simplement et crois-moi, la conversation avec des gens qu'on considère – surtout quand elle est aussi subversive – est un des plaisirs de l'existence.


Moi aussi, j'aime beaucoup la conversation... dit l'âne en brinquebalant la tête. Si tu veux bien, laissons parler Marco Camenisch...


On y va, dit Mârco Valdo M.I..



Novara, 15 novembre 1996


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Dans les desseins de l’internationale de la répression, nous sommes seulement une minuscule partie du puzzle, vu que, au moins en Europe, il y a en cours de très nombreuses opérations contre les isolés et les groupes de la dissidence radicale. Si la glace que nous avons sous les pieds est fragile, la digue avec laquelle le pouvoir veut contrôler les eaux est elle aussi fragile et branlante. En superficie, on voit seulement les bulles, mais qui sait combien il y a de bulles en profondeur.


Novara, 4 décembre 1996


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Pour ce qui est de décembre, la seule date que je prends en considération est le 21, le solstice d’hiver. Nonobstant le fait que le clergé chrétien s’en soit approprié en le transformant en Noël (Natalité), cela reste pour moi une splendide fête païenne de la renaissance du monde.


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Novara, 13 mars 1997


Aujourd’hui avec l’apocalypse technologique en cours, il peut certes sembler difficile de ne pas s’abandonner au sentiment de défaite et au découragement. Mais nos propres parcours et nos propres contenus doivent vivre et agir même si on les sépare du reste au niveau personnel et de sa petite communauté immédiate, en gardant en tête l’adage coutumier que c’est seulement avec la reddition du dernier d’entre nous que tout sera véritablement perdu. Car la personne, l’individu est la brique de ce qui est plus vaste et plus généralisé. Certes, les bois ont été presque tous abattus, mais des graines ont survécu…


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Novara, 21 avril 1997


Actuellement, j’ai beaucoup à faire avec un travail de solidarité en soutien à une lutte pour les terres et la survie d’une communauté mapuche : des éleveurs et des pasteurs indigènes de Patagonie. Ma contribution consiste à traduire et à diffuser des nouvelles et des informations pour sensibiliser les milieux du mouvement de langue allemande en Suisse et en Allemagne. Tout cela a impliqué différents journaux et divers camarades avec un engagement et des déclarations d’intention. Il s’agit d’un entrepreneur italo-suisse qui vit en Argentine et qui trempe jusqu’au cou dans l’abus des pâturages mapuches à des fins d’exploitation touristique dans un esprit « écologiste » néocolonialiste. Les habituels et très efficaces compagnons suisses sont occupés à un travail d’enquête sur l’aspect financier de cet entrepreneur. Pour ma part, c’est un bordel de traduire et résumer ces informations, mais ma satisfaction de le faire est d’autant plus grande que c’est un signe de la non (encore) inutilité du soussigné pour le monde extérieur à ce cercueil de ciment.


Novara, 26 juin 1997


Aujourd’hui, par surprise, je viens d’apprendre que je suis sous enquête, depuis des mois, pour substances stupéfiantes. J’ai immédiatement écrit au Juge des Enquêtes préliminaires en déclarant que, chez le soussigné ou chez ses parents et sa compagne qui me rend régulièrement visite, on n’a jamais trouvé la moindre petite parcelle de stupéfiants. Et ceci vaut pour les autres détenus avec lesquels je partage, ou j’ai partagé, mon incarcération. Aucun type de stupéfiant n’a jamais été trouvé dans ma cellule ou dans tout autre lieu que je fréquente. En conséquence, je ne comprends pas les motifs de cette enquête pour un délit de niveau infime, utile seulement pour le poids de la « lourde charge et des multiples devoirs différents » de l’Office du PM du tribunal de Novara.


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Novara, 22 décembre 1997


J’ai enfin réussi à écrire ma lettre au Centro Valle, que j’avais projetée depuis longtemps et qui est maintenant faite et envoyée.

Comme d’habitude, l’horaire de cette fin d’hiver est prohibitif et festif ; c’est alors que la prison pèse le plus et fonctionne au ralenti, mais les obligations de socialité festives et collectives et même de travail augmentent. Et puis aussi, mes ennuis alimentaires, à cause des sucreries dont je me suis empiffré durant cette période.


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Centro Valle, 11 janvier 1998.


JOURNALISTES OU FOLLICULAIRES ?


Mesdames , Messieurs,



Avant tout, je vous souhaite de bonnes fêtes et une bonne nouvelle année sous le signe et pour le progrès de la vérité, de la liberté, et de la justice sociale, et par conséquent, de la paix.

Je saisis l’occasion pour vous remercier de la publication, il y a un an, d’un manifeste solidaire de ma personne et de ma lutte dans les prisons contre les illégalités et les injustices qui y sont perpétrées et en outre, pour vos dire certaines choses relatives à l’articulet du 31 août 1997 sur mes mésaventures et ma personne, intitulé « Accostamenti… » (Rapprochements…), où vous avez réussi au-delà du possible à concentrer une série de mensonges implicites et explicites, de diffamations et de provocations contre le soussigné et plus encore contre la résistance historique et actuelle face à l’exploitation et la destruction de l’environnement et la vie sur notre planète.

Le chef d’œuvre dans ce chef d’œuvre de désinformation et de propagande plus ou moins subliminale, est sans aucun doute le sous-entendu, l’allusion contenue dans le titre et ses points de suspension où l’on veut ironiser et ridiculiser, pour exorciser le contenu subversif de la vérité, le rapprochement de ma petitesse avec un personnage comme le Che. Je suis d’accord que le rapprochement est impropre et d’autant moins audacieux que le soussigné n’est pas digne même de porter un verre d’eau à un personnage comme le Che… C’est un fait difficilement niable qu’un tel rapprochement est moins impropre et moins audacieux que celui, caché de façon générale et aussi dans votre article, du rapprochement du Che avec le consommisme et la publicité, pour des marchandises produites dans le soi-disant « tiers-monde » en exploitant malhonnêtement, entre autres, une main d’œuvre au salaire de famine, particulièrement la main d’œuvre forcée et mineure. Triple complicité dans le détournement : du cadavre du Che ; de la lutte qu’il représente, qui est exactement aussi la lutte contre ce qui – dans la publicité ou ailleurs – abuse de lui ; du soussigné, dont la lutte a sûrement et légitimement plus en commun avec celle du Che que vous ou ceux qui sont avec vous, même si vous vous évertuez à mentir. Dans sa lutte, le Che n’a rien sûrement rien de commun avec vous, fidèles folliculaires, et avec tous ceux qui sont avec vous, l'État policier planétaire, votre économie, votre politique et votre répression.

« Rocambolesque », une fuite au cours de laquelle serait mort « un » gardien ? A propos de « rapprochements » …

« Écoterroriste », en effet. Je suis le premier responsable de l’effet de serre, de la débâcle et des catastrophes hydrogéologiques, environnementales et sociales au-dessus de nos têtes, de la cimentification et de la destruction sauvage du monde. Comme le peuple kurde, le zapatiste, celui de l’île de Bougainville et tous les gens et les peuples qui s’opposent à leur propre destruction et à celle de leur environnement vital contre vos intérêts messieurs-mesdames et de vos maîtres. Cependant, vu que la moindre résistance authentique et radicale à vos intérêts et vos privilèges est désormais du « terrorisme », très bien ! Alors être appelé « terroriste » par vous est le plus grand honneur qu’on puisse me faire. Le soussigné ne « risque » pas l’extradition, mais elle est bureaucratiquement certaine puisqu’elle est concédée par l’Etat italien à l’Etat suisse.

Il est tout à fait vrai, par contre, que le soussigné a été condamné pour les morts de (enfin une…) d’un gardien de prison et d’un douanier suisses. Officiellement ! selon les services de l’Etat helvétique dans leur incritiquable et très objectif compte rendu annuel sur l’extrémisme en Suisse et selon vous et les autres plumitifs du régime.

Pour qui, comme vous et comme ceux de l’Etat de Droit, de la séparation des pouvoirs, de la démocratie et d’une justice authentique s’en fout complètement, à moins qu’ils ne servent pour défendre et légitimer et affirmer hypocritement leurs propres privilèges et leur propre pouvoir, c’est là un détail insignifiant le fait que jusqu’à présent, aucun tribunal de la fameuse « loi est égale pour tous » n’a daigné jusqu’à présent me juger et me condamner pour ces accusations. Mais c’est un détail négligeable.

Comme vous et ceux qui comme vous êtes certainement satisfaits de votre opportunisme réactionnaire, avez une satisfaction entière de votre réel pouvoir de condamnation, de justice, d’exploitation et de destruction dans le cadre de votre système de pouvoir de classe inquisitorial et arbitraire dont les tribunaux, avec leur complaisance et leur acharnement sur mon cas, seront les serviles appendices. Honneur aussi à votre omniscience, si vous réussissez sans ambages à affirmer que j’aurais été reconnu par un douanier abattu dans cet affrontement, on peut le supposer, d’un homme armé contre un autre homme armé. Si vous parlez même avec les morts, alors les voies de vos Seigneurs et de vos Dames sont vraiment infinies. A propos des serviteurs armés de votre régime morts : il me répugne qu’à chacune de leur mort, ces serviteurs tombés soient ultérieurement instrumentalisés, avec pillage et abus, pour réaffirmer par des mythes cyniques et des mensonges dénigrants la « monstruosité » et l’impossibilité de toute résistance réelle et de tout monde différent du vôtre, avec l’unique fin de la légitimation et de l’affirmation du monopole de votre violence contre toute contreviolence et toute autodéfense venant du bas contre vos délires d’omnipotence et de destruction venant du haut. Le premier pas vers la liberté, la justice sociale, la dignité, et par cela vers la paix authentique, adviendra exactement quand toute mort, tout deuil, toute vie, toute douleur et toute joie auront exactement le même respect, la même pitié, la même valeur, la même considération et la même dignité.

Salutations distinguées sans rancœur.


Marco Camenisch


Je suis depuis un mois à la tête de « Centro Valle » qui, je vous l’assure, n’est pas formé de plumitifs du régime. En relisant l’articulet rédigé par un ex-collaborateur, je n’y ai pas trouvé, cependant, d’attaques directes contre votre personne. J’ai néanmoins décidé de publier l’écrit d’un subversif invétéré comme vous en adéquation avec l’orientation du journal qui est d’assurer une place adéquate aux interventions de ses propres lecteurs.

(Elisabeth Del Curto)

....


(Suite au prochain épisode)

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