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1 octobre 2008 3 01 /10 /octobre /2008 23:12

Ohlala, lala, lala... dit Mârco Valdo M.I., qu'est-ce que je suis fatigué. Ce doit être la saison, ce doit être ces jours plus courts...

 

Oh oui, dit Lucien l'âne en baillant de toutes ses dents blanches comme le sel de cuisine et en montrant de ce fait une langue râpeuse et longue comme une langue d'âne. Moi aussi, ces jours qui raccourcissent me fatiguent et arrivé en fin d'après-midi, au moment qu'on appelle entre chien et loup, je me traîne et j'aspire à retrouver ma litière.

 

Et avec çà, çà va empirer, dit Mârco Valdo M.I.. Il faudrait se résoudre à hiberner, ce serait la meilleure solution. Mais malheureusement, ni toi, ni moi, ne sommes assez gros pour passer l'hiver sans manger. Dormir, sans doute, y arriverait-on, tous les deux, mais sans manger et sans boire. Là, c'est impossible, carrément. Tu vois, Lucien, tu aurais mieux fait de te transformer en ours.

 

Oui, oui, sans doute, sans doute. Mais quand même, dit l''âne en se regardant dans la flaque d'eau à ses pieds, je me vois mal en ours, surtout avec de telles oreilles. Et crois-moi, mon ami Mârco Valdo M.I., j'y tiens à mes oreilles, elles me plaisent bien mes oreilles d'âne. Et ce n'est pas là une coquetterie comme peuvent en avoir les dames qui ne veulent pas se laisser couper les cheveux. Les cheveux, ils repoussent... Les oreilles d'âne, jamais. D'accord, je te vois venir avec cette idée saugrenue que je pourrais toujours me faire greffer mes oreilles d'âne sur ma tête d'ours... De quoi aurais-je l'air ? Dis-le moi, toi...

 

En effet, ce serait une idée de greffer tes oreilles d'âne sur ta tête d'ours., dit Mârco Valdo M.I. en riant. Cependant, je ne suis pas spécialiste des greffes, surtout d'oreilles d'âne sur des têtes d'ours, mais justement, n'y aurait-il pas un risque de rejet ? Tu aurais l'air de quoi en ours qui aurait perdu ses oreilles d'âne ?

 

Et ce n'est pas tout, que ferais-je de mes pieds ? Tu me vois, dit l'âne si désespéré qu'il en plie les genoux, avec des pieds d'ours. Non, ce n'est pas possible. Franchement, je ne pourrais pas; je tiens trop à mes sabots d'Hellène.

 

Je te comprends, dit Mârco Valdo M.I.. Tous comptes faits, il vaut mieux que tu restes âne. Oublions cette histoire d'ours mal emmanchée. D'ailleurs, j'étais venu pour une tout autre histoire, que je compte bien te raconter, si tu as le temps et la patience de m'écouter.

 

Mais enfin, dit Lucien l'âne en reprenant son calme, je suis venu pour çà. De quoi vas-tu me parler aujourd'hui ? Il me semble que tu devrais revenir aux histoires d'Achtung Banditen ! D'une part, j'ai envie de connaître la suite de ce feuilleton et d'autre part, il me semble aussi que tu t'es promis d'aller au bout du livre de Marco Camenisch et aussi de ne pas nous laisser dans l'incertitude quant à la suite de l'attentat de la via Rasella.

 


 


Mon ami Lucien, tu as très bien compris tout cela, dit Mârco Valdo M.I., et il faut y ajouter aussi que je voudrais te faire connaître encore quelques lettres de prison de Carlo Levi. Je suis donc très loin d'avoir fini. Mais pour aujourd'hui, je vais reprendre le récit de Marco Camenisch où nous l'avions laissé, c'est-à-dire à la fin de l'année 1994. Il est toujours en prison à Novara et l'année nouvelle est venue. Je saute la période des fêtes et son feu d'artifice, que Marco Camenisch déteste. À ce propos, que penses-tu des feux d'artifice ? Moi, j'aime assez les voir et Carlo Levi raconte un merveilleux concours de feux d'artifice à Palerme, qui, si j'ai bonne souvenance, aurait lieu chaque année à la fête de la sainte locale, qui devrait bien être Rosalie. Encore une à qui on a dû arracher la pointe des seins avec des tenailles ou alors, qui a fini sur un bûcher... C'est toujours ce genre d'affaire qui arrive aux saintes. C'est d'ailleurs pour ça qu'elles sont faites saintes. Je vois à ton œil que tu aurais des ambitions en ce domaine; je crois percevoir comme une envie de sanctification... Mon ami Lucien, méfie-toi, les saints aussi vont en enfer... C'est Dante qui l'a dit...

 

Arrête, mon cher Mârco Valdo M.I., de te moquer de moi. Je ne suis saint, ni apôtre, je ne suis même pas l'âne ermite, je n'ai aucun penchant pour la gloire ni pour la rôtissoire. Je veux juste écouter ton histoire.

 

Tu as bien raison, mon ami Lucien, nous voici donc au début de 1995. Je vais commenter passage par passage et tu pourras faire de même. En plus, et par correction intellectuelle, je te signale que je ne peux reprendre tout le texte et que donc, je ne t'en lis qu'une sélection. J'espère seulement que mon choix sera le bon; sinon, il y a toujours le livre complet que tu peux lire par toi-même. Bref, on passe les fêtes et les débuts de janvier. Marco Camenisch ne va pas bien. Il se plaint de maux terribles qui l'accablent et qui ne sont pas trop soignés dans cet univers carcéral. Cela fait partie aussi du destin du prisonnier.

 

 

Novara, 27 janvier 1995.

 

Depuis hier soir, d’un coup, je me sens à nouveau inquiet. De mauvais présages. Ce doit être le soudain changement atmosphérique, on est passé de l’obscurité humide du brouillard et de pluie au clair et sec soleil d’aujourd’hui.

Je suis moins en forme car je me suis rompu le genou. Au milieu d’une course tranquille, ma rotule s’est barrée, comme si j’avais un morceau de savon dans les os. Une douleur de la Madone, une hémorragie interne, un genou rigide et gonflé. Cela le 3 janvier. Je renonce pour çà à courir ou, mieux, à sautiller avec circonspection et méfiance.

Au moins, le travail pour Marcello avance. ...

Assis de travers, toujours en tension pendant quatre heures d’affilée, lorsque j’arrête d’écrire, çà me fait mal aux os et aux membres de droite. C’est pourtant l’unique solution pour laisser passer un peu de lumière sur ma feuille et, je me répète, une machine à écrire serait plus salutaire et moi, plus efficace. Le fait est que, ayant la glande surrénale droite gonflée par une tumeur interne, c’est sur la colonne que se concentre la tension de ma position malsaine.

 

Ensuite, comme tu vas le voir, notre ami Marco Camenisch... Oui, je dis notre ami et cela pour plusieurs raisons. La première, c'est évidemment que je suis solidaire de son combat et même, que je l'approuve et que je le soutiens du mieux que je peux en te racontant son histoire. Et comme tu le sais, pas à toi seulement. Il y a d'autres oreilles qui m 'écoutent et d'autres yeux qui lisent derrière mon dos. La deuxième raison est qu'à force de le fréquenter – tu penses que j'ai mis du temps à le traduire ce livre, j'ai fini par le considérer comme une personne très proche, presque directement palpable; bref, comme un ami.

 

Moi aussi, dit l'âne Lucien en tapant du pied dans la flaque d'eau juste pour jouer, j'ai ce même genre de sensation. Je le vois d'un œil très amical cet ami qui souffre.

 

Donc, je disais, dit Mârco Valdo M.I., Marco Camenisch, même en prison, continue à se soucier du monde comme il va (mal) et à essayer de contribuer à la réflexion collective. Son billet du 21 mars 1995 en est un exemple.

 

 

Novara, 21 mars 1995.

 

Le mur de Berlin est tombé et certains en sont encore la bouche ouverte. Cet écroulement a mis et a créé aussi une tension positive vers le changement et l’ouverture mentale. L’exigence de nouveaux modes d’agrégation et de résistance, sans se mettre à l’abri et sans se pervertir, est peut-être née. Mais quoi qu’il en soit, ceci nous fait réfléchir à notre dépendance vis-à-vis de la société du spectacle et de la grande frousse qu’elle induit d’avoir du mal, de la faim et du sang en raison des désagrégations d’un système brinquebalant qui parvient toutefois encore à se maintenir. ... On sent le « souffle sur son cou » des désagrégations et des crises toujours plus proches et répandues ? ... il vaut mieux tisser des relations uniquement entre des individus essentiels. Si ensuite meurt un de nos journaux, qu’importe ? ... Je pense que l’essentiel N’EST PAS DANS LE BESOIN de journaux, hebdomadaires et encore moins, quotidiens, avec leur énorme gaspillage de ressources et d’énergie.

Si nous sommes d’accord que nous sommes mal pris et peu nombreux, je pense que ressources et énergies doivent plutôt aller directement à la survie et à la création en petit de solides bases économiques, sociales, culturelles individuelles et collectives. Si nous cherchons seulement à perfectionner et à étendre la discussion / communication médiatique non reliée à la vie réelle, nous devons d’abord nous relier à l’INTERNET.

 

 

Nouveau bond dans le temps. On arrive à la fin mai avec un texte de Marco Camenisch qui aborde la question des technologies nouvelles dans la vie quotidienne. Je te rappelle, mon cher Lucien, dit Mârco Valdo M.I., que nous sommes en 1995. Il y a plus de dix ans. Il met en cause les appareils électro-ménagers et bien entendu, tout ce qui va advenir de la téléphonie mobile. Et il voit clair: au bout de leur progrès... ce sont eux qui gagnent. J'ajoute : de l'argent. C'est d'ailleurs la seule chose qui les intéresse. La technologie n'est pas neutre, dit-il. Et là, c'est sûr, Marco Camenisch a raison. Il s'interroge aussi sur l'arme mortelle qu'est la communication de masse... Pas seulement, parce qu'elle arrive à porter au pouvoir les Sourires (ils sourient tous sur les écrans...) qui nous écrasent, mais aussi car tout simplement, elle rend con et elle mange le peu de temps que l'on a pour vivre. Le temps libre (plus encore en prison), voilà l'ennemi pour le système, voilà ce qu'il veut éradiquer. Le temps vraiment libre, celui où l'on ne consomme rien d'autre que le temps lui-même et le simple bonheur d'exister, ce temps-là doit être banni. D'abord, car il ne rapporte rien (on ne consomme pas et un temps qui n'est pas de l'argent est un temps inutile et nuisible aux yeux du système) et ensuite, car il libère les pensées qui se mettent à vagabonder – et çà, pour le système, c'est vraiment très dangereux. On ne sait jamais où une pensée pourrait bien aller... Mais écoutons ce que dit Marco Camenisch.

 

 

 

NOVARA, 28 mai 1995.

 

Une période de malaises avec abcès, faiblesse et refroidissements surmontée, je retrouve cette vigueur qui me fait me jeter avec un enthousiasme hargneux dans des travaux que je considère utiles à notre cause. J’ai traduit une « perle » des doctoresses Sibylle Meyer et Eva Schulze contre la diffusion massive de bidules électriques et électroniques dans les maisons et les effets collatéraux sur la vie familiale.

Leur texte me paraît contraindre à réfléchir sur la réalité technologique actuelle depuis que dans les années cinquante, on avait commencé à diffuser les électrodomestiques, massivement répandus dans les années soixante et accompagnés dans les années quatre-vingts, des machins électroniques dans le secteur de la communication - information. Une invasion en bonne et due forme.

En fait, les personnes conscientes et lucides devraient au moins critiquer fondamentalement les lieux communs liés à l’idée que la technique nous est utile, qu’elle nous aide, qu’elle nous soit indispensable et qu’elle fait désormais quasiment partie de notre structure biologique et psychologique.

Accepter le développement de la technologie dans notre vie quotidienne devient dès lors en effet un recul féroce et autodestructeur vers des formes nouvelles et sophistiquées d’esclavage et de dépendance totale. Il y a conflit entre nos besoins réels, autodéterminés et responsables, les individus et les collectivités qui sont dépouillés de toute autonomie réelle au profit d’une inarrêtable dégradation du milieu et du renforcement des sempiternels pouvoirs économiques.

Si une lutte ne peut nous libérer au quotidien de la technique et de la technologie qui nous submergent, c’est une lutte inutile et perdue au départ. Les grandes aspirations que tous comptes faits, nous désirons, ce sont la garantie de survie pour tous les êtres de la Planète, en ayant une vie digne de ce nom. La technologie n’est pas neutre. Elle est l’expression intime de l’Etat, du pouvoir, de l’exploitation, du patron, du mode de production industriel. Au bout de leur progrès et de leur développement, il y a seulement leur produit. La technologie n’est pas au service de l’homme et du monde, mais bien au contraire, à celui de ceux qui gagnent dans le « progrès » et le « développement ».
La consommation médiatique elle-même, pour les adultes et les enfants, devient un succédané
mortel de la communication. C’est du temps soustrait à la vie quotidienne et une arme mortelle pour la domination globale.
Il est logique que l’acceptation de la technologie de la part des jeunes et des très jeunes soit absolue. Ce sont les premières générations élevées et « éduquées » par la consommation, le conditionnement et le plagiat médiatique et global.










Dis-moi, Lucien mon ami l'âne aux pieds noirs et luisants comme tes yeux, dit Mârco Valdo M.I., aimes-tu les enquêtes policières ? Je veux dire les énigmes, les investigations et toutes ces sortes de choses. Bien entendu, comme histoire, pas dans la réalité.

 

Heu, oui, j'aime assez essayer de démêler certains écheveaux, dit l'âne.

 

Et bien, Marco Camenisch va t'en raconter une d'histoire du genre. Mais aussi, tu verras l'envers du décor. Je n'entrerai pas dans les détails, à toi de démêler, mais je dirai cependant que c'est en quelque sorte une enquête a contrario. Une enquête pour trouver comment la police crée des complots, comment la police mouille des gens, comment la police – sur ordre, pour des raisons d'État, pour protéger certains... puissants – maquille la réalité, invente des crimes ou fait une mise en scène pour camoufler les vrais coupables. J'insiste un peu, car derrière bien des affaires où l'on accuse des militants qui luttent contre le système, derrière les plus grands attentats, il y a une mise en scène, il y a la nécessité de créer et de désigner des boucs émissaires, des « coupables », la nécessité de lancer des chasses aux sorciers et aux sorcières ou comme on entend maintenant le plus souvent, ces fameuses chasses aux terroristes, dont on nous rebat les oreilles. Mais écoute l'histoire ...

 

 

Novara, 17 juin 1995.

 

Quand j’étais dans la superprison de Livourne, en 1993, j’ai rencontré le compagnon Orlando Campo et j’ai étudié attentivement son mémoire en justice sur l’enlèvement Silocchi. Je suis arrivé à la conclusion que ce feuilleton télévisé judiciaire est un fruit vénéneux de la « raison d’Etat », en ayant développé et produit une théorie et une sentence infâmes.

Mais analysons les faits.

En 1989, dans la province de Parme, avait été séquestrée la femme d’un entrepreneur. Dans le cours des négociations – inabouties – pour la rançon, fut remise au mari une oreille de sa femme, aujourd’hui encore disparue. La police présume qu’elle est décédée pendant sa détention par suite de mauvais traitements et de maladie.

En 1991, après des enquêtes à sens unique dirigées contre des prolétaires sardes, sur base de la théorie de la bande « sardo-anarchiste-méridionale », ont été arrêtés quatre prolétaires sardes, un anarchiste calabrais, un anarchiste arménien et sont recherchés une anarchiste étasunienne et un anarchiste sicilien, encore en liberté.

En 1994, le tribunal des assises de Parme, malgré leur évidente extranéité aux faits reprochés, condamna ces quatre personnes. Pour les prolétaires sardes : F. Goddi, G. Sanna, A. Staffa, F. Porcu, pour la compagne Ann Rose Scrocco (libre) et pour le compagnon arménien Gregorian Gagarin : la perpétuité. Pour Orlando Campo : 22 ans. Tandis que Giovanni Barcia (libre) est acquitté. Par la suite, au début février 1995, le tribunal d’appel de Bologne, non seulement confirma les peines, mais condamna à perpétuité aussi le compagnon Giovanni Barcia.

Ainsi fut avalisé la théorie de la fantomatique bande « sardo-anarchiste-méridionale », fondée essentiellement sur d’évidents montages policiers, et en plus, maladroite. En créant des boucs émissaires, on veut couvrir la vérité du séquestre Silocchi, en laissant volontairement de côté des indices qui conduisent vers des noms haut-placés des milieux socio-économiques, politiques, religieux et en ajoutant un nouveau chapitre à la sale guerre antisarde et antianarchiste. Le tout dans un style « parfait » et bien éprouvé de guerre psychologique et de prévention contrerévolutionnaire.

Il n’existe pas de preuve. L’accusation et le jugement se basent sur des insinuations, des préjugés de « bonne » et de mauvaise foi, un zèle persécutoire et arbitraire de la part des enquêteurs et des juges. Ce sont les dépositions des officiers de la répression qui rapportent des « confidences » qui leur ont été faites, selon leurs dires, sans procès verbaux d’aucune sorte, par un « collaborateur », condamné pour une autre séquestration, qui aurait à son tour recueilli ces « confidences » de son frère.

Ce frère, déjà décédé au temps des « confidences » en question, aurait soutenu avoir participé à la séquestration Silocchi. Au procès de Parme, le « collaborateur » ne parut pas à l’audience. Il se présenta, par contre, à l’appel de Bologne et il démentit nettement avoir jamais fait des « confidences » sur l’enlèvement Silocchi.

Des ossements humains et un anneau d’or ont été retrouvés dans la ferme des prolétaires sardes condamnés. Les expertises ne sont pas arrivées à établir s’ils appartenaient à la victime et un approfondissement refusé à Parme, a été par contre concédé par la Cour d’Appel de Bologne. Des dépositions à l’audience par un capitaine des Carabiniers et par le mari de la victime, il ressortit que ce dernier versa à ce capitaine des carabiniers 50 millions de lires pour payer un informateur sarde connu (lié aux services, déjà arrêté avec un autre sarde, qui se révéla lié aux tueurs de la « UNO blanche »), entretemps tué par fusillade par les forces de l’ordre elles-mêmes, dit-on. C’est cet informateur qui récupéra des ossements humains dans un cimetière du milieu pugliese, pour les transporter, les déposer et les faire trouver dans le terrain choisi par les « enquêteurs ».

Il y a la reconnaissance d’un des premiers séquestreurs, un compagnon anarchiste qui, selon la police, aurait été tué – avant l’arrestation des autres membres de la présumée bande – par l’explosion d’une grenade, destinée à une questure de Rome. Il avait été « reconnu » par un témoin de l’enlèvement sur une vieille photo en blanc et noir superposée à la photo d’un uniforme. Il est exact que les accusés se connaissaient plus ou moins entre eux et qu’ils étaient proches par leurs moitiés ou leurs activités politiques.

Il est exact qu’ils avaient des parents ou des amis inculpés, arrêtés, sous enquête, poursuivis et jamais « coincés » jusqu’à ce moment.

Il n’y a pas de preuves, il n’y a pas d’indices.

Il y a au contraire les preuves que les indices sont faux, fabriqués et extorqués.

L’avancement du débat du procès paraissait de bonne augure, en cohérence avec le moment particulier où à Bologne, avait été démasquée la pratique criminelle de l’appareil policier et judiciaire de cet Etat stragiste1, de l’usage des repentis pour condamner des personnes étrangères aux faits qui leur étaient imputés et de l’utilisation des appareils de la « sécurité » à des fins stragistes et subversives, des actes pour légitimer une répression forte et raciste.

Au Pilastro, un quartier « mal famé » et prolétaire de Bologne, il y a quelques années, trois carabiniers furent assassinés à coups d’armes à feu. Trois prolétaires furent accusés sur base des « dépositions »  d’une repentie qui, avec trois versions consécutives et divergentes, avait démontré de façon éclatante qu’elle était sevrée aux faux documents des policiers et des magistrats.

Vers la fin 1994 pourtant, quelques fonctionnaires de la questure de Bologne furent arrêtés. La dénommée bande de la UNO blanche, la Fiat Uno habituellement utilisée lors de leurs actions. Sous l’évidente couverture des mêmes appareils d’Etat, la bande a perpétré pendant plusieurs années des attaques armées contre des supermarchés (de la rouge « COOP ») et des banques, en tuant de façon préméditée et avec la facilité inouïe, typique des professionnels des agressions armées, clients, employés et passants ; perpétré divers attentats racistes contre des Gitans, des gens de couleur et tué les trois carabiniers du quartier Pilastro.

Les arrêtés, certains même frères, firent un concours à qui admettait de plus en plus, à qui pouvait décharger les autres. Attitude naturelle et cohérente de professionnels avec licence de tuer en tirant dans le dos des gens désarmés en fuite, de torturer dans leurs casernes des pauvres gens sans défense, de qui a toujours raison, même quand il ment.

Les différents argousins de la justice durent relâcher les trois prolétaires accusés du massacre du Pilastro.

Tenant présent à l’esprit que les compagnons condamnés à Parme avaient été en leur temps accusés pour le massacre du Pilastro, il fallait espérer un minimum de lueur de conscience juridique de la part du prétendu « Etat de droit démocratique ». L’utopiste soussigné (et pas seulement lui) pensait à une trace minimale de pudeur et de bonne foi pourtant rarement rencontrée dans les actes et la conduite éthique de personnes qui font carrière dans les institutions de pouvoir de ce régime.

Et bien non, pas le minimum de pudeur ! Les Messieurs du tribunal ont donné libre cours à leurs plus bas instincts homicides, réactionnaires et vindicatifs, pardon, je voulais dire à leur « libre arbitre ». Une monstruosité non seulement juridique qui a emmuré vives six personnes et contraint deux autres à la fuite et à l’exil à vie.

Rien là d’étrange et de surprenant et la juste indignation comme fin en soi est tout à fait inutile. C’est la guerre d’un modèle totalitaire de « vie » sociale à sens unique, avec sa hiérarchie, son oppression, son exploitation et son anéantissement. La guerre des patrons, de leur Etat, de leurs serfs contre les peuples et les gens qui s’opposent à cette monoculture.

Rien d’étrange pourtant dans le rôle habituel des massmédias de toutes couleurs, dans le contrôle de nos esprits et de nos émotions, dans la désinformation, l’excitation, l’intimidation, la terreur, la propagande ou le silence.

Rien d’étrange si aucun des responsables de ces abominations, perpétrées lâchement au nom de la raison d'État et de sa force, ne doive prendre ses propres responsabilités. Honnêtement, comme ces abominations sont leur nature intime, ils ne sont pas coupables d’incohérence.

A la suite de nos mille revendications de liberté, de justice sociale, d’anarchie, de lutte contre l’exploitation, l'État et les patrons, la cohérence s’est réfugiée dans nos rangs. Le silence est complice et en refusant la solidarité à nos compagnons, notre critique radicale devient un discours faible, impuissant et mort.

C’est seulement quand nous prendrons enfin nos responsabilités à chaque niveau de lutte, que même eux devront finalement prendre les leurs.

1 Stragiste : le mot italien est « stragisto », qui dérive de « strage » : massacre, hécatombe, assassinat massif… Mais en l’occurrence et s’agissant l’Etat italien, de Bologne et de « strage », il renvoie à la fameuse « strage di Bologna » - 2 août 1980 (en français, « l’attentat de Bologne »), dont les services secrets et les activistes de droite furent les auteurs.

 

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