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4 juillet 2008 5 04 /07 /juillet /2008 22:07

Tiens, Lucien, d'où viens-tu, on dirait que tu as couru...


Oui, oui, salut, dit l'âne à la voix humaine, je cours, je cours... Je te cours après, car tu m'avais promis de me faire connaître l'histoire de Kesselring et de sa pierre « ad ignominia », sa pierre ignominieuse..; ce qui veut dire si j'ai bien compris, la pierre qui lui fait honte, qui lui jette ses crimes et ses abjections à la figure.


Tu as parfaitement raison, Lucien mon bon ami. Mais je ne t'avais pas oublié, crois-moi. Elle est prête mon histoire. Ceci dit et pour être précis Robert définit « ignominie » comme suit : déshonneur extrême causé par un outrage public, une peine, une action infamante. Et crois-moi, le dénommé Kesselring l'avait bien cherché qu'on lui fasse un monument à sa honte immense. Et encore, tu veux mon avis, c'est bien peu de choses encore...


Quoi, dit Lucien l'âne en grattant du sabot les cailloux du chemin, c'était un tel salaud ?


Ce fut un criminel de première dimension, ça, c'est sûr. Un salaud de première classe, sans doute aussi. On n'est pas commandant d'une armée d'occupation nazie sans avoir trempé dans un fameux bouillon d'ordures. Mais tu vas pouvoir juger par toi-même, dit Marco Valdo M.I.


Et quoi, quand on l'a attrapé, car on l'a bien fait prisonnier... demande l'âne en tournant la tête pour éviter que le soleil ne l'éblouisse trop, on ne l'a pas condamné ?


Si, si, il a eu droit à un procès. Jusque là, rien à dire. On l'a même condamné à mort. Mais voilà, tu sais bien, Lucien, après cette guerre, on a, comment dire, rapidement cessé de poursuivre ces gens-là; en somme, on avait besoin d'eux. Ainsi, dans la plupart des pays, l'épuration – comme la guerre de Troie, n'a pas eu lieu, ou alors, très réduite, car il fallait quand même bien faire quelque chose. Mais en fait, on avait besoin de ces gens-là, c'étaient quand même de véritables anticommunistes, de vrais réactionnaires garantis pur porc. On a donc gardé en place ou au besoin, remis en place : en Italie, les fascistes – ils sont même revenus au pouvoir maintenant; en Allemagne, les nazis; un peu partout, les kollabos... Je t'en raconterai des vertes et des pas mûres à ce sujet.


Et alors, Kesselring, dit l'âne incrédule, il a été condamné ? Condamné à mort ? Et quoi, on l'a fusillé, pendu, écartelé, brûlé... ?


Rien de tout ça, on l'a laissé sortir de prison. Le pauvre, il était malade. Note que pour mourir, il importait peu qu'il soit malade et même qu'il soit vieux... Ce n'était à l'évidence qu'un prétexte; d'ailleurs, il a vécu encore longtemps après être sorti "très malade, quasiment mourant" de prison. S'est-il posé la question pour les vieux qu'il a fait massacrer, pour les enfants qu'il a fait arracher du ventre de leur mère, pour les villages entiers qu'il a fait brûler après avoir fait méticuleusement occire tous les habitants... ? Tu verras son cynisme est incommensurable. Sais-tu qu'il a osé dire aux Italiens qu'il avait fait tout ça pour leur bien...


Je ne comprendrai jamais les humains, dit l'âne en baissant la tête de dégoût.

 

Cette inscription lapidaire se trouve à Cuneo et à Montepulciano


 

Ode à Kesselring



Albert Kesselring, qui durant la deuxième guerre mondiale, fut le commandant de l’armée du Troisième Reich en Italie, fut condamné à mort au procès de Nuremberg pour les nombreux massacres que l’armée nazie avait commis dans le pays (Fosse Ardeatine, Marzabotto et autres). Ensuite, sa condamnation fut commuée en prison à vie, mais il fut relâché en 1952 en raison de graves ennuis de santé, qui en réalité n’étaient pas graves, car l’ex-hiérarque vécut en fait encore huit années ou un peu plus.Redevenu libre, Kesselring dit qu’il ne se repentait pas de ce qu’il avait fait et il déclara même que les Italiens, pour le bien desquels il l’avait fait, auraient dû lui ériger un monument. En réponse à cette exigence arrogante, Piero Calamandrei écrivit la célèbre épigraphe « Tu l’auras, Kamerad1 Kesselring … », dont le texte fut placé sur une pierre lapidaire « ad ignominia » que la commune de Cuneo a dédiée à Kesselring. On retrouve cette épigraphe également à Montepulciano (Toscane).

Le texte de cette célèbre épigraphe est :


Tu l’auras

Kamerad Kesselring

Le monument que tu exiges de nous Italiens.

Mais avec quelle pierre on le construira

C’est à nous de le décider

Pas avec les pierres enfumées

Des bourgs sans défense ravagés par ton

carnage

Pas avec la terre des cimetières

Où nos compagnons tout jeunes encore

Reposent en sérénité

Pas Avec la neige inviolée de nos montagnes

Qui durant deux hivers te défièrent

Pas avec le printemps de ces vallées

qui te vit fuir

Mais seulement avec le silence des torturés

Plus dur que tout rocher

Seulement avec la roche de ce serment

Juré entre des hommes libres

Qui

Par dignité et non par haine

s’assemblèrent volontairement

Décidés à racheter

La honte et la terreur du monde.

Si tu voulais un jour revenir sur ces routes

Tu nous trouverais à notre poste

Morts et vivants avec le même engagement

peuple serré autour du monument

Qui s’appelle


Aujourd’hui et pour toujours


résistance



Piero Calamandrei

1 Kamerad : en italien, le mot est Camerata, qui était le nom que se donnaient les membres du P.F.N. - parti fasciste.

On imagine donc bien combien dans l’apostrophe de Calamandrei, il y a de mépris et de dégoût à l’égard de ce haut officier nazi.

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